Des étudiants envoyés en formation en Occident grâce à des bourses d’Etat mais qui refusent après coup de revenir au Togo mettre les compétences acquises à son service, d’autres formés ici qui s’expatrient pour les faire valoir…Ce sont de tristes réalités qui dépossèdent le Togo et l’Afrique de ressources humaines nécessaires à leur développement. Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Prof Majesté Ihou Wateba veut voir cette saignée s’arrêter. Il a soulevé le débat le jeudi 17 novembre dernier à l’Université de Lomé, au cours du lancement de la 4e édition de la « Semaine des Etudes en Europe », événement organisé par la Délégation de l’Union Européenne, les ambassades de France et d’Allemagne au Togo pour promouvoir les mobilités étudiantes des Africains en Occident et opportunités de financement des projets de recherche.
Facture salée pour le Togo
Les bourses d’études et la formation à l’étranger reviennent chères à l’Etat togolais. Ce sont des milliards qu’il débourse annuellement pour financer les études des jeunes Togolais. « Les bourses extérieures représentent chaque année pour le Togo, pour les à peu près 4000 étudiants de l’étranger, ça nous représente à peu près 6 milliards chaque année », a révélé le ministre, informant que « pour les 100 000 étudiants qui sont au Togo, sans compter le contingent des nouveaux bacheliers qui vont s’y ajouter cette année, nous dépensons la bagatelle d’à peu près 13 à 14 milliards FCFA ».
A en croire Majesté Ihou Wateba, une bourse étrangère d’un étudiant togolais en France ou encore en Chine coûte mensuellement pour le contribuable togolais 500 000 FCFA, sans compter le remboursement des frais d’inscription et de scolarité et un mois de bourse d’installation accordée par l’Etat. « L’étudiant togolais coûte annuellement en Occident près de 10 millions de francs chaque année.
L’officiel s’est interrogé sur «la logique sociale où l’on dépense 6 milliards pour s’occuper de 4000 étudiants pendant qu’on dépense l’équivalent de seulement 14 milliards pour gérer 100 000 étudiants, sans compter le privé qui aujourd’hui forme 30% de l’effectif dans l’enseignement supérieur». « Et si on doit dépenser toute cette somme pour que l’étudiant ne revienne pas, c’est un problème », a-t-il souligné. « La formation avec l’aide de la coopération est utile. Mais il faut savoir que ce sont les ressources du pays qui forment des gens qui vont à l’étranger qui doivent impérativement revenir servir le Togo », a fait observer le ministre de l’Enseignement supérieur.
Fuite des cerveaux et anecdotes du ministre
Elle se manifeste déjà par le fait que par les étudiants envoyés à l’étranger pour étudier grâce à des bourses d’Etat ne reviennent pas au Togo pour servir le pays, préférant rester en Occident ; en fait un détournement de compétences au profit des pays développés qui en avaient déjà suffisamment, un gâchis et un manque à gagner au final pour le Togo. Mais pas que. La fuite des cerveaux concerne aussi les personnes formées au Togo, mais qui mettent les voiles pour aller faire valoir ces compétences dans d’autres pays, en Europe notamment.
Déjà pour les études in situ, faut-il le souligner, ce sont des fortunes que l’Etat investit dans leur formation, à en croire Prof Majesté Ihou Wateba. Donnant l’exemple de la Faculté de Médecine, pour former un médecin généraliste, a-t-il indiqué, il faut la bagatelle de 35 millions de FCFA. Le ministre détaille le calcul ainsi : « Vous prenez le salaire des enseignants qui interviennent dans la Faculté, divisez par la production annuelle (de la Faculté), c’est-à-dire le nombre de docteurs formés chaque année et vous arrivez à une bagatelle de 35 millions ». Et de nuancer que le calcul de cette dépense n’a pas pris en compte « l’effort que l’Etat a fait du CP1 jusqu’au BAC, ni l’amortissement de la Faculté et de ses besoins, ni les salaires des enseignants ». A l’en croire, quand le médecin généraliste va en spécialisation, la dépense monte jusqu’ à 50 millions FCFA.
Malgré ces efforts (sic) de l’Etat, les personnes formées n’hésitent pas à s’expatrier pour aller mettre ces connaissances au service du développement d’autres pays, de l’Occident en particulier, a regretté Prof Majesté Ihou Wateba, et de raconter des anecdotes. « Quand j’étais Doyen de la Faculté (de Médecine, Ndlr), au mois de septembre 2019, sur 30 soutenances qui ont eu lieu, 27 (médecins) sont partis en Europe avant la fin du mois ». C’est juste la première. Voici la seconde : «Récemment – j’étais déjà ministre de l’Enseignement supérieur-, j’ai présidé 2 thèses un vendredi et le même soir, je prenais l’avion pour Bruxelles. J’ai été surpris qu’à l’aéroport, j’ai pris l’avion avec les 2 docteurs qui sont partis en France (…) Ils ne sont pas allés en spécialisation et ne sont pas revenus, ils sont partis travailler ». Autre illustration du phénomène de la fuite des cerveaux, à en croire le ministre, « il y a un hôpital en France, l’hôpital de Douai, à cote de Lille. Quand vous enlevez le contingent des médecins togolais, vous fermez cet hôpital ».
Profitant de sa présence, l’officiel a tenu à dénoncer cette émigration massive des cerveaux. « La « Semaine des études en Europe » ne veut pas dire la Semaine de l’immigration vers l’Europe », a-t-il tenu à signifier aux étudiants. Et de motiver le financement des études en Occident : « Aller en Europe, c’est aller apprendre ce que nous ne pouvons pas dispenser ici au Togo, acquérir des connaissances pour venir construire notre pays (…) Ces programmes sont des chances de progrès qui vont nous permettre un jour de sortir de nos difficultés ».
La solution coercitive en vue
«Revenir bâtir le Togo », telle est désormais la boussole de l’Etat togolais en accordant des bourses pour financer les études de jeunes Togolais à l’étranger, l’engagement que ces derniers doivent prendre. A en croire le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, très critiqué au sein de l’opinion pour l’engagement écrit que l’on ferait prendre aux étudiants boursiers de l’Etat de revenir après leurs études en Europe, les années à venir, « on ne quittera plus le Togo avec une bourse de la coopération, une bourse de l’Etat togolais, tout simplement avec une promesse de revenir au Togo ».
Au niveau du gouvernement et notamment du ministère de l’Enseignement supérieur, on explore des pistes de solutions ou simplement de garde-fous qui empêcheraient presque l’étudiant de rester en Europe et le contraindraient de rentrer au pays. « Avec certains pays avec lesquels nous avons déjà ébauché des partenariats, vos diplômes ne vous seront plus délivrés en Europe. Quand vous finirez vos études, vos diplômes seront envoyés au Togo et c’est l’ambassade représentant le pays où vous avez étudié, qui solennellement vous le remettra », a fait savoir le ministre aux étudiants.
L’accord de bourses d’études aux jeunes Togolais à coût de millions (individuellement) en Occident et leur refus de revenir servir le pays s’apparentent à un financement des pays riches par le Togo. « Nous n’allons plus continuer à dépenser des milliards pour financer des pays qui sont déjà plus riches que nous. Au bout du compte, on se demande, les bourses offertes par les Nations occidentales, est-ce que ça nous sert véritablement », a souligné Majesté Ihou Wateba. A l’en croire, ce ne sont d’ailleurs pas ces formés en Europe qui bâtissent le pays, mais les étudiants restés au pays. « Ceux qui bâtissent nos pays, ce ne sont pas les gens qui sont partis en Europe. La grande majorité, ce sont ceux qui ont étudié ici et qui y sont restés », a informé l’officiel.
Pour le ministre, il est nécessaire de faire un jour « ce débat qui enrichit l’Afrique, parce que nous voulons voir nos enfants revenir pour bâtir nos pays ». « Nous devons être suffisamment conscients du problème. Personne ne viendra construire le Togo à notre place. C’est pour ça que nous mettons tout en œuvre pour décourager ceux qui se serviront de la semaine de l’Europe pour en faire la semaine de l’immigration. Parce que nous devons revenir construire notre bien le plus cher qui est le Togo », a insisté le membre du gouvernement qui veut changer de paradigmes.
Dont acte.