« L’écriture et l’édition au Togo : problématiques et perspectives ». C’est le thème ayant constitué le menu, mardi 20 juin à la bibliothèque universitaire, du tout premier panel de la 6e édition du Festival international des lettres et des arts (Festilarts) organisée par l’association Nimble Fathers, en collaboration avec l’Université de Lomé. Autour de la table, universitaires, écrivains et éditeurs ont diagnostiqué les maux (sic) qui minent la chaine du livre au Togo et évoqué les défis pistes d’actions. C’était en présence de l’invité d’honneur, l’écrivain Kossi Efoui et d’un public constitué d’enseignants, d’étudiants, de journalistes, entre autres.
Tout est parti d’une tribune acerbe de l’écrivain togolais de renommée internationale Sami Tchak sur le monde de l’écriture et de l’édition en Afrique, notamment le faible niveau de certains auteurs ou écrits, publiée sur le site icilome.com. Sa sulfateuse sortie a suscité ce panel, un brainstorming des acteurs du secteur sur la question. Parmi les panélistes, l’écrivain Théo Ananissoh vivant en Allemagne, le directeur des Editions Awoudy Mawuse Heka, l’universitaire et critique Ayayi Togoata Apedo-Amah, le gestionnaire culturel et directeur de la Maison des jeunes d’Amadahome Edem Latevi, bref le gotha du monde de l’écriture et de l’édition au Togo, pour plancher sur sa santé.
Comment se porte la chaine du livre et de l’édition au Togo ? C’est par cette question que le modérateur Dr Anoumou Amekudji, enseignant-chercheur à l’Institut des sciences de l’information, de la communication et des arts (ISICA) à l’Université de Lomé, par ailleurs présentateur de l’émission littéraire « Randonnée » sur la radio Kanal FM, a lancé les hostilités (sic). Les panélistes autant qu’ils sont, se sont employés à énumérer les différents goulots d’étranglement, allant du faible niveau de certains auteurs et de la non-maitrise des genres littéraires à la carence de lecture des Togolais en passant par le problème de la correction des textes.
Diagnostic implacable
Connu comme un critique sans frontière, Prof Ayayi Togoata Apedo-Amah n’a pas manqué à sa réputation. « Beaucoup de gens ne connaissent pas le b.a.-ba du genre, l’esthétique. Comme ce qui est plus facile à écrire, c’est la poésie, on va à la ligne tout simplement ; il n’y a rien, pas une seule ligne qui soit poétique dans tout cela», assène l’universitaire et écrivain, qui évoque également la faiblesse de la critique littéraire. Théo Ananissoh, lui, pointe du doigt la correction des ouvrages, et de demander des sacrifices aux éditeurs pour recruter de « bons correcteurs ».
« La qualité de la production littéraire togolaise, c’est une problématique qui date de quelques décennies. A partir des années 2000, avec l’apparition des nouvelles maisons d’édition, la plupart des productions qui sont sorties ne sont pas toutes des productions de qualité. Il n’y a pas de comité de lecture mis en place de façon professionnelle dans ces maisons (…) La plupart des auteurs ne prennent pas le temps nécessaire de faire un travail de fond non seulement sur la littérarité de leurs textes, mais aussi la correction orthographique et grammaticale». Ingénieur culturel et directeur de la Maison des jeunes d’Amadahome, Edem Latevi y est allé de sa lecture. Et d’insister sur la responsabilité de l’éditeur : « Si l’éditeur ne fait pas bien son travail, c’est toute la chaine qui tombe à l’eau».
Interpellé sur les critiques formulées sur le travail des éditeurs, Mawuse Heka, le directeur général des Editions Awoudy, a donné sa perception. « Il y a beaucoup d’auteurs qui donnent du fil à retordre aux maisons d’édition (…) Parfois il y a des manuscrits qui demandent tellement de travail que même si tu fais deux, trois corrections, tu vas rater des fautes parce qu’on en corrige beaucoup », a-t-il souligné. L’éditeur identifie un autre goulot d’étranglement, la question du distributeur. « Là où la chaine ne marche pas très bien, c’est vers la fin. On n’a pas une entité de distribution professionnelle qui ne fait que ça, de Lomé à Cinkassé », a-t-il relevé, pointant également du doigt le faible goût des Togolais à la lecture. « Je suis sûr que la dernière fois que cinq personnes de cette salle ont été à la librairie, ce n’est pas en 2023. La consommation est un problème », a-t-il caricaturé.
Défis et pistes d’actions
L’industrie de l’écriture et de l’édition a-t-elle tout de même un avenir au Togo, malgré l’existence de tous ces goulots d’étranglement ? « Absolument ! Tant que les hommes sont là, vivent et travaillent, ils ont besoin d’art. L’art, c’est le patrimoine culturel d’un pays, et donc il y a de l’espoir », croit fermement Prof Ayayi Togoata Apedo-Amah, qui relève néanmoins que « la gageure de la littérature togolaise maintenant, c’est d’aller de plus en plus vers la qualité, l’excellence». Dans cette dynamique, les medias et l’Etat ont une grande partition à jouer, à l’en croire. «Il faudra que les médias s’occupent davantage du sort de la littérature togolaise parce qu’il faut des critiques (…) Il faut que l’Etat mette aussi les moyens pour aider les éditeurs qui n’ont pas grandes surfaces financières», prescrit-il.
Même son de cloche chez Edem Latevi, qui croit malgré tout à un avenir de la littérature togolaise, mais trace la voie à suivre : « Chacun doit pouvoir prendre ses responsabilités à son niveau. Que le créateur ou celui qui aspire à devenir écrivain prenne le temps et la patience nécessaire pour apprendre à faire son métier. Qu’il lise d’abord ceux qui ont déjà écrit avant lui, se renseigne sur comment cela se fait. S’il veut écrire un roman, des gens en ont déjà écrit, donc qu’il apprenne, les lise. C’est comme cela qu’on s’inscrit dans un héritage culturel d’un pays. Ce que nous allons proposer comme roman, pièce théâtrale ou recueil de poèmes va rentrer dans le patrimoine national. Donc il faut prendre le temps de bien faire cela. Et l’éditeur, c’est son rôle de filtrer les textes, il doit pouvoir faire son rôle en bonne et due forme ».
Promouvoir la création et la critique littéraire et artistique au sein de l’institution universitaire en servant de cadre de rencontre, d’échanges et de formation entre le public universitaire d’une part, et les acteurs nationaux et internationaux, éditeurs, critiques littéraires et autres acteurs de la chaine du livre et des arts de l’autre, tel est le but du Festilarts. Axée sur le thème « De Bella Bellow à Jeannette Ahonsou : mots, musique et modèles », la rencontre a été constituée de bien d’autres panels, des dédicaces, ateliers, spectacles de théâtres, de danse, de poésie et autres activités, et a refermé ses portes le samedi 24 juin.