Par Maryse QUASHIE et Roger E. FOLIKOUE
C’est la crise du COVID-19 qui a interrompu le mouvement des Gilets Jaunes en France, en rendant impossibles les grands rassemblements de personnes. Mais le gouvernement français peut-il être sûr qu’il en a fini avec les manifestants de tous âges et provenances qui ont pris part à ce mouvement durant des semaines ?
De fait, les Gilets Jaunes, ce sont tous ces citoyens qui ne se sont pas sentis pris au sérieux, qui ne sont pas considérés comme écoutés dans leur galère quotidienne pour arriver à la fin d’un mois de travail en assumant toutes leurs charges. Qu’en sera-t-il lorsque, après la parenthèse des vacances, on reviendra à la rentrée pour faire face à une vie certainement rendue encore plus difficile par la crise sanitaire ? La grande majorité des Français aura-t-elle l’impression d’être écoutée ? Nul doute que le nouveau gouvernement en place commence à réfléchir à cela, en se demandant bien sûr, quelles seront les mesures prioritaires à prendre, mais surtout en cherchant quel langage, quels mots employer à l’attention des citoyens pour qu’ils se sentent écoutés et rassurés.
L’histoire nous rappelle ceci : ce fut une des trouvailles géniales du Général De Gaulle, ces mots qu’il a lancés dans son discours du 4 juin 1958 à Alger : « Je vous ai compris ! ». Tous ses auditeurs européens, musulmans, chrétiens et juifs, ont été ravis. Mais cette phrase n’était-elle pas ambiguë, dans la mesure justement où elle a rassuré tout le monde, quel que soit son bord ? Elle montre en tous les cas qu’un homme politique doit savoir écouter la population et lui parler à bon escient de ses préoccupations les plus urgentes. Et c’est bien pour ajuster ce discours que les sondages sur la popularité des hommes politiques mais aussi sur les attentes des citoyens sont tant utilisés. Cependant , dire aux gens ce qu’ils veulent entendre, c’est aussi une façon de les manipuler, c’est de la démagogie. En effet, cela peut constituer une invitation à privilégier la langue de bois et à ne pas se gêner pour abreuver les citoyens de fausses promesses. C’est pourquoi la vigilance est une vertu citoyenne.
Nous qui vivons au Togo, nous, connaissons bien ces hommes politiques dont on ne peut guère faire confiance aux discours. Aujourd’hui, eux-mêmes en mesurent-ils la conséquence ? Ils ne sont guère plus écoutés. Car quand la parole publique n’est plus véridique, comment peut-elle inspirer confiance ? Quand les promesses ne sont presque jamais tenues, comment la parole publique des responsables peut-elle encore susciter la confiance ? «Lorsque la conquête ou la conservation du pouvoir devient l’unique fin de la lutte politique » (M. Kamto) et non la transformation des conditions de vie des citoyens, alors la démagogie s’installe. C’est ainsi que beaucoup de citoyens Togolais se méfient des informations officielles, se demandant si on n’essaie pas encore de les tromper. C’est une des raisons pour lesquelles, et c’est vraiment dommage, certains ont douté de la réalité du COVID-19. Mais le résultat le plus triste de la langue de bois et des fausses promesses, c’est la méfiance générale que les citoyens professent à l’égard du discours des hommes politiques en général et même de tout acteur de la vie publique au Togo. Il faudra du temps pour reconstruire.
Pour l’heure, ce qui est préoccupant, c’est que les problèmes des citoyens perdurent et qu’il faut les résoudre quand bien même le pouvoir croit, à tort, avoir maîtrisé tous les mouvements de protestation, de mécontentement depuis le 19 août 2017. Comment faire pour trouver une solution à tous ces problèmes ? Deux solutions se présentent qui ne s’excluent d’ailleurs pas mutuellement. La première consiste à chercher à mieux se faire entendre de qui de droit. Amplifier sa voix par exemple : dans la société civile, si on n’arrive pas seul à se faire entendre, parfois il faut le nombre car plus on est nombreux, plus on a de chances de se faire entendre. Or dans un pays comme le Togo, la confiscation de l’information par certains, la désinformation délibérée par d’autres, empêchent parfois les citoyens de se rendre compte qu’ils sont nombreux à partager les mêmes difficultés. Quelle solution alors ? Faire tomber les murs de méfiance entre citoyens pour mieux échanger sur la vie quotidienne et son poids car ceux qui sont dans la misère et l’indigence sont plus nombreux que la minorité opulente et conservatrice.
Lorsqu’on n’arrive pas à se faire entendre, on peut également changer de langage, de canal : c’est ainsi que les artistes peuvent porter les difficultés de la population à condition que celle-ci se retrouve dans leurs chants, dans leurs tableaux, dans leurs pièces de théâtre, etc. La mobilisation au cours du mouvement anticolonial avait beaucoup profité des refrains populaires, il est sans doute possible de faire encore mieux maintenant avec le soutien des radios privées.
Il est enfin possible de changer de porte-voix lorsqu’on n’arrive pas à se faire entendre. L’exemple des Gilets Jaunes peut encore nous servir. En effet, des personnes qui n’étaient jamais sorties de l’ombre se sont révélées des leaders plus écoutés que les classiques secrétaires généraux de syndicats par exemple. Nous pouvons donc détourner nos regards de ceux dont nous attendons généralement qu’ils parlent en notre nom.
Et c’est là que la première solution rejoint la seconde qui consiste en ce que les citoyens eux-mêmes décident de prendre en charge et de résoudre leurs problèmes. Impossible ?
Imaginons que les citoyens d’une partie d’un quartier (un carré comme on dirait au Bénin) décident de se rencontrer juste pour parler ensemble. Ils pourraient partager à propos de ce qui rend la vie difficile à chacun, mais aussi de ce qui alourdit la vie de tous. Par exemple, notre quartier est enclavé, transports chers et peu pratiques, problèmes pour se rendre au centre-ville. Vous pensez que 10, 15 personnes réunies ne peuvent pas traiter de cela ? Imaginons que dans ce quartier, habitent un certain nombre de conducteurs de motos qui proposent de baisser les prix pour les habitants du quartier contre une compensation à trouver ensemble avec la municipalité… Cela ne marcherait-il pas ?
Et si cela se répétait, les autres quartiers n’entendraient-ils pas parler de ce quartier extraordinaire ? Et cela ne ferait-il pas tâche d’huile ? Les citoyens ne seraient-ils pas en train de prendre en charge des transports urbains qui les arrangent ? Et qui se préoccuperait encore de l’ancien fonctionnement ? Personne car souvent, lorsqu’un pouvoir ne veut pas écouter les citoyens, ceux-ci peuvent se détourner de lui et le combattre en l’isolant. Car la finalité de la politique n’est pas le cumul de richesses par une minorité, mais l’amélioration des conditions d’existence des hommes et des femmes d’une communauté, d’une Nation.
Pour aller plus loin dans notre histoire, imaginons que l’Etat intervienne pour interdire aux citoyens de s’organiser pour leurs transports. Les citoyens vont-ils se laisser faire et retourner à l’ancien système qui les pénalisait ? Certainement pas. Car l’Etat, ce n’est pas que les gouvernants, et c’est alors que s’organiserait la résistance des citoyens par la désobéissance civile….
Belle histoire, n’est-ce pas ? Elle porte encore sur l’art de gouverner en s’efforçant d’écouter ceux qu’on gouverne, et à leur faire comprendre qu’on tient compte de leur satisfaction, de leur bonheur. Mais comment apprend-on cela ? Avec quelqu’un qui prend à cœur de vous conseiller, d’attirer votre attention sur telle ou telle attitude de telle ou telle personne, tel ou tel groupe; avec quelqu’un qui peut véritablement vous guider à propos de votre langage et vous corriger à ce sujet : un mentor. Nous cherchons au Togo des personnes qui auraient l’ambition de devenir les mentors des nouveaux leaders préoccupés avant tout du bonheur des citoyens. Impossible à trouver ?
Lomé le 24 Juillet 2020