La crise sanitaire liée au coronavirus a impacté tous les secteurs et aggravé la vulnérabilité de certaines composantes de la société. Parmi ces populations vulnérables, se trouvent les détenus des prisons du Togo. Sevrés de visites, et de facto de chaleur familiale, c’est une double peine que vivent ces prisonniers, déjà privés de liberté. Immersion dans le supplice vécu par les pensionnaires de la prison civile de Lomé.
« Dans le cadre de la mise en œuvre des mesures préventives de lutte contre la propagation de la pandémie du Covid-19, édictées par le gouvernement et spécialement dans l’optique de protéger les pensionnaires des centres pénitentiaires contre le risque de contamination venant de l’extérieur, le Garde des Sceaux, ministre de la Justice porte à la connaissance du public qu’à compter du lundi 13 avril 2020, toutes les visites aux détenus dans les prisons civiles du Togo, au cabanon du CHU Sylvanus Olympio et à la brigade pour mineurs de Lomé sont suspendues jusqu’à nouvel ordre ». Le gouvernement, par ce communiqué daté du 9 avril 2020 signé du Garde des Sceaux, ministre de la Justice Pius Agbetomey, annonçait la (mauvaise) nouvelle. Raison avancée, protéger le monde carcéral de la maladie. Entrée en vigueur depuis le 13 avril 2020, la mesure n’est pas encore abrogée. Cette interdiction des visites, quoique légitime, impacte durement le moral des détenus de la prison civile de Lomé.
Sevrés de chaleur familiale
« Je me sens mal. C’est une situation que je n’ai jamais connue. La famille m’apportait beaucoup de réconfort. Il y a des moments où je déprime » ; « Il reste la mort qui va m’emporter ». Ces deux détenus n’exprimaient que le ressenti général des pensionnaires de la prison civile de Lomé.
La suspension des visites est une précaution du gouvernement pour protéger les détenus contre le virus. Une mesure de prudence, au regard de la promiscuité manifeste dans les prisons du Togo. Mais la pilule est amère pour les prisonniers. Ils sont de fait coupés de la chaleur familiale. Et (presque) tous s’en plaignent. Angoisse, stress, déprime sont leur lot quotidien.
On se sent plus impacté dans les rangs des détenus d’origine étrangère. « C’est terrible et inconfortable comme situation pour nous qui sommes étrangers (…) Par exemple ma femme a bravé des kilomètres (nous taisons le nom du pays) pour venir me voir. Mais elle a fait le chemin retour sans me voir », confie l’un d’eux.
La situation n’est pas pénible que pour les détenus. Leurs familles aussi en souffrent. « Mes enfants ne comprennent pas pourquoi ils ne peuvent pas voir leur papa. Ma femme non plus ne supporte pas cette situation. Quant à moi, c’est la déprime totale », se plaint un autre pensionnaire.
Sentiment d’abandon
« La visite permet une bonne harmonie entre les parents et le détenu. Elle renforce le tissu familial et permet également l’épanouissement du détenu. L’absence de visites et de chaleur familiales démoralise les prisonniers, ça affecte leur psychologie. Ils se voient délaissés par leur famille (…) Surtout chez ceux qui sont conscients, c’est la désolation totale », déclare un acteur social de la prison civile de Lomé, sous le sceau de l’anonymat.
Cette absence de visites et de chaleur familiales est justement vécue par les détenus de la prison civile de Lomé comme un abandon à leur triste et beaucoup ressentent la solitude. Ils ne blâment pas pour autant leurs proches, mais plutôt le gouvernement pour cette mesure qui nuit à leur équilibre mental. «C’est un sentiment d’abandon que je ressens. Mais ce n’est pas de leur (les proches et la famille, Ndlr) faute. Au contraire, ils ne guettent que l’occasion de venir me voir », avoue un détenu, père de famille.
Visites, mesures barrières et/ou libération souhaitées
Levée de suspension des visites, c’est le vœu le plus cher des pensionnaires de la prison civile de Lomé. Conscients du risque encouru par rapport à la Covid-19, ils sont pour l’instauration de garde-fous, entendu des mesures barrières. « Rien ne pourrait combler le manque d’affection familiale. La solution, c’est la reprise des visites pour nous permettre de retrouver notre équilibre émotionnel. Il suffit de respecter les mesures barrières, nous en sommes tous conscients », suggère un détenu.
Profitant de la situation, d’autres proposent même une libération pure et simple, comme ceux-ci qui souhaitent voir «accélérer les procédures judiciaires, libérer les détenus sous caution, faire payer une amende pour les condamnés et surtout concrétiser la grâce de demi-peine tant promise », « Considérer la liberté provisoire pour les détenus malades, âgés et la liberté conditionnelle pour les détenus ayant fait preuve de bonne conduite ».
Des acteurs de services sociaux en parlent…
« Les visites sont fondamentales dans la vie carcérale du détenu, car la prison, c’est la jungle (…) Quand on est coupé des visites de sa famille, psychologiquement on est affecté, c’est comme si on est mort vivant (…) L’absence de chaleur familiale affecte forcément le mental du détenu ou du prisonnier», déclare Philippe Amouzou, ancien chef projet à Handicap International, une ONG qui intervient dans les prisons en faveur des détenus, illustrant la situation par le ressenti d’un fonctionnaire en mission à l’extérieur, toujours soucieux de ce qui se passe derrière lui, à la maison.
Marcus Dakla, chargé du monitoring et du suivi des mécanismes des droits de l’Homme au Collectif des associations contre l’impunité au Togo (CACIT), renchérit : « L’incarcération d’un détenu génère une série de conséquences négatives sur son vécu émotionnel et social. Le détenu n’ayant pas connaissance de la situation de sa famille, de ses enfants, est toujours traumatisé. C’est pour cela qu’il est important de mettre en place un certain nombre de dispositifs de soutien et d’accompagnement permettant de maintenir le lien familial entre le prisonnier et sa famille à travers une visite ».
La suspension des visites impacte aussi les actions des ONG qui interviennent en milieu carcéral. Au CACIT par exemple, on a dû arrêter les activités d’écoute et de formation en faveur des détenus et se contenter de les assister, de même que les brigades pour mineurs et quartiers d’enfants sur le plan juridique et médical (achat de médicaments par le biais du service social et autres). De fait, les prisonniers sont également sevrés d’accompagnement social et psychologique et de formation professionnelle.
…Et militent aussi pour une reprise contrôlée
La suspension des visites doit également impacter l’alimentation des détenus, et de facto leur santé. « Le refus systématique des visites est suicidaire, parce que le gouvernement n’arrive pas à subvenir convenablement aux besoins des détenus, c’est un repas par jour. Avec les visites de la famille, elle vient avec un peu de nourriture, un peu de fonds, pour permettre aux détenus d’acheter les ingrédients à l’intérieur de la prison. Maintenant que tout est coupé, le gouvernement n’a malheureusement pas augmenté la ration alimentaire, le nombre de repas par jour est demeuré intact. Donc ceux qui ne mangeaient pas les plats servis par l’administration, sont obligés de prendre ce repas-là et ça risque de leur causer des problèmes (…) Ce sont les parents qui arrivent à subvenir aux besoins de santé des détenus, la plupart en tout cas (…) Nous prions que le refus systématique ne soit pas fatal à un détenu », fait observer Philippe Amouzou.
Tout comme les détenus, les acteurs d’ONG de services sociaux dans les prisons militent pour la reprise des visites, mais sous conditions évidemment. Tous sont pour l’instauration de mesures barrières pour éviter la contamination à la Covid-19.
« Je suis pour la réouverture des lieux de détention aux visites (…) », clame M. Amouzou, tout en suggérant des dispositions particulières : installer des lave-mains au niveau des surveillants, du contrôle, prendre systématiquement la température des visiteurs. « Les visites au parloir doivent être systématiquement contrôlées pour qu’il n’y ait pas trop de monde, parce que habituellement, c’est comme au grand marché, il y a trop de monde (…) », indique-t-il, et de proposer au plus cinq (05) personnes en même temps.
Son de cloche similaire chez M. Dakla, avec quelques innovations aussi. « Le CACIT reste toujours favorable à la reprise des activités dans les prisons, mais dans le respect des mesures barrières et aussi l’instauration d’autres mesures de précaution par le gouvernement à savoir : la désinfection de toutes les prisons, des brigades pour mineurs et des quartiers pour enfants ; prévoir un local pour l’isolement des nouveaux déférés ; installer les interphones dans les prisons et les brigades pour mineurs afin de maintenir les liens familiaux entre les détenus et les organisations de la société civile. Ces interphones permettront également aux OSC de continuer à suivre les dossiers des détenus auprès des juges », propose-t-il.
Déjà privés de liberté, les détenus de la prison civile de Lomé sont également sevrés de chaleur familiale, une double peine en somme. Une triple peine en fait car privés aussi d’accompagnement social et de formation professionnelle. Derrière les grilles, ils croisent les doigts, priant pour un retour des visites pour goûter de nouveau à la chaleur et à l’amour des leurs dont ils sont coupés. Mais le temps paraît long, trop long…
NYIDIKU K. Agbenyo