Au regard des conclusions et surtout de la quintessence des propositions formulées par la Concertation nationale entre acteurs politiques (CNAP) et transmises au gouvernement, des avancées manifestes ont été enregistrées sur certaines questions importantes. Allons à leur découverte dans les lignes à suivre.
Sur le cadre électoral et la composition de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), ils seront dix-sept (17) membres dans la prochaine, avec la répartition 7 pour la majorité parlementaire, 7 pour l’opposition (parlementaire et extraparlementaire), 2 pour la société civile et 1 pour l’administration. « La composition suivante a été proposée : – majorité parlementaire : 7 membres ; – opposition : 7 membres répartis comme suit : 4 membres opposition parlementaire et 3 membres opposition extraparlementaire ; – société civile : 2 membres ; – administration : 1 membre », indique le point 2 du relevé des propositions de la CNAP titré « Composition de la CENI ». C’est une évolution lorsqu’on sait qu’avec la dernière CENI, sur la base de l’article 12 de la loi N°2019-017 du 06 novembre 2019 portant modification de la loi N°2012-002 du 29 mai 2012 modifiée par la loi N°2013-004 du 19 février 2013 et la loi N°2013-008 du 22 mars 2013 tenant lieu de code électoral : « La CENI est composée de dix-sept (17) membres : – cinq (05) membres désignés par la majorité parlementaire ; cinq (05) membres désignés par l’opposition parlementaire ; – trois (03) membres des partis politiques extraparlementaires élus par l’Assemblée nationale ; trois (03) membres de la société civile élus par l’Assemblée nationale ; – un (01) membre désigné par l’administration (…) ». L’intérêt de cette nouvelle composition, nous revient-il, c’est que ce sera sur proposition des partis extraparlementaires eux-mêmes que l’Assemblée nationale va élire leurs représentants.
Concernant le fichier électoral, il est relevé que « Désormais la biométrie comme technique d’inscription sur les listes électorales est consacrée dans le Code électoral. Par ailleurs, il a été recommandé qu’à titre exceptionnel, la prochaine CENI procède à un nouveau recensement électoral, en lieu et place d’une simple révision électorale conformément aux textes en vigueur. Il est également proposé que le fichier électoral qui sera établi à la suite du nouveau recensement électoral soit également audité avant l’organisation des élections » (proposition N°10). Voilà une disposition (suggestion pour l’instant) importante car venant satisfaire une recommandation de l’Accord politique global (APG) prescrivantt l’établissement de fichier électoral biométrique.
Les différents rapports des missions d’observation électorale nationales et surtout de l’Union Européenne avaient toujours déploré l’inscription massive des électeurs sur la base des témoignages (75 %), ce qui offre un terreau fertile à la manipulation des listes et aux fraudes, et recommandé à maintes reprises l’organisation des audiences foraines pour délivrer des pièces d’identité (naissance, certificat de nationalité, carte nationale d’identité) aux Togolais afin de palier ce phénomène. Cette suggestion de la CNAP sur la biométrie au point 10 (« Désormais la biométrie comme technique d’inscription sur les listes électorales est consacrée dans le Code électoral. Par ailleurs, il a été recommandé qu’à titre exceptionnel, la prochaine CENI procède à un nouveau recensement électoral, en lieu et place d’une simple révision électorale conformément aux textes en vigueur. Il est également proposé que le fichier électoral qui sera établi à la suite du nouveau recensement électoral soit également audité avant l’organisation des élections » vient satisfaire ce besoin.
Sur l’authentification des bulletins de vote, il est suggéré au point 14 des propositions qu’elle «se fera par : – l’apposition des hologrammes qui doivent être commandés par la CENI en fonction. La conception, la commande, le stockage et le transport de ces hologrammes dans les démembrements de la CENI doivent être entourés de toutes les précautions sécuritaires ; – la signature des bulletins de vote après apposition des hologrammes par deux membres du bureau de vote dont un représente la majorité et un autre l’opposition. Pour tenir compte du risque de variabilité de signature de la même personne pour un nombre aussi élevé de bulletins à signer, il est retenu qu’en cas de litige sur une signature, c’est l’hologramme qui fait foi». L’idée de primauté de l’hologramme (dont le positionnement sera d’ailleurs déterminé séance tenante et non à l’avance) est un simple garde-fou important pour anticiper le problème de dissemblance de signature d’une même personne (sous l’effet de la fatigue ou volontairement). « Le représentant du pouvoir peut par exemple fausser sciemment sa propre signature sur les bulletins dans les bureaux de vote des zones acquises à l’opposition et pousser à l’annulation des votes en faveur de ses candidats et ainsi les priver de beaucoup de voix », pressent un observateur averti.
Dans la même dynamique de transparence, il y a également le contrôle par empreintes digitales en utilisant les tablettes qui se veut la 3e étape de vérification – « Il est proposé d’ajouter à ce contrôle (carte d’électeur et liste électorale le jour du vote, Ndlr), un contrôle des empreintes digitales qui pourrait se faire en utilisant des tablettes », lit-on au point 15 sur le contrôle des électeurs le jour du vote »- après la première constituée du contrôle par la carte d’électeur et celui sur la liste électorale du bureau de vote le jour du vote.
La compilation des résultats se fera désormais commune par commune – la CNAP suggère qu’elle se fasse « par les CELI commune par commune, et dans les communes, bureau de vote par bureau de vote. Les fiches de compilation de résultats dans les CELI se font en un exemplaire original et une copie. L’original de la fiche de compilation est envoyé à la CENI suivant les procédures déjà définies dans le code électoral ; la copie reste à la CELI et sera consultable par les candidats ou leurs représentants dans les conditions définies par les directives de la CENI. Les procès-verbaux établis à partir de ces fiches de compilation seront rédigés en nombre suffisant pour que chaque membre de CELI et chaque représentant de candidat puisse en obtenir une copie » (18) – au lieu que ce soit à l’échelle de la préfecture, comme toujours. Cela permettrait une attention plus particulière et d’éviter la surcharge de travail qui offre un terrain favorable à la manipulation et à la fraude.
Jusqu’à présent, la caution se payait par les candidats aussitôt après validation de leur dossier par la CENI. Et parfois elle est remise en cause par la Cour constitutionnelle ou la Cour suprême. Mais désormais il est suggéré qu’il se fasse après avis de ces instances finales, comme l’indique la proposition 26 : « La CNAP propose que pour toutes les élections, le paiement de la caution ne soit exigé qu’après acceptation de la candidature par la Cour constitutionnelle ou la Cour suprême ».
Pour l’une des premières fois, les médias devront être soutenus dans la couverture des élections, conformément à la proposition N°28 (« Pour permettre aux médias publics et privés de remplir correctement leurs tâches durant les élections, il est proposé que l’Etat puisse leur accorder une assistance de circonstance »). Cet éventuel soutien devrait soulager un tant soit peu les professionnels des médias confrontés à de réels besoins de moyens dans ces circonstances.
S’agissant de l’aide publique aux partis politiques et à la restitution des cautions, il est suggéré qu’ils se fassent désormais selon les modalités suivantes : « – 2/3 accordée aux partis politiques proportionnellement au nombre de députés obtenus par les partis ; – 1/3 accordée aux partis politiques proportionnellement aux suffrages obtenus à ceux qui ont réalisé plus de 2% du suffrage au plan national, à l’occasion des élections législatives. Il est souhaité que cette aide soit revue substantiellement à la hausse », selon la proposition n°38. Jusqu’à présent, la restitution de la caution se faisait pour la présidentielle sous la condition de 5% au moins des suffrages sur le plan national.
Cette autre suggestion sur l’obligation de tenue, pour chaque parti politique, d’au moins un congrès chaque cinq (05) ans (proposition 42) devrait permettre de redynamiser les formations politiques dont la dernière assise de renouvellement des instances remonte à la Pangée ou à leur création et le bureau se réduit à son Président, devenu éternel.
11h à 18h, voilà la plage horaire pour les manifestations publiques, selon les dernières modifications liberticides portées à la loi qui les encadre. Toutes choses qui a attisé la colère des partis de l’opposition, défenseurs des droits de l’Homme, organisations de la société civile et même des remontrances des instances onusiennes. La CNAP donne l’opportunité au gouvernement de rectifier le tir, avec sa proposition de nouvelle rédaction : « Pour des raisons stratégiques, économiques et sécuritaires, les manifestations peuvent être interdites sur certains axes et zones » (proposition 34) et de ramener la plage horaire des manifestations de « 8h à 19 h au lieu de 11h à 18 h », convaincue qu’elle « permettra tout de même aux travailleurs de pouvoir rejoindre leurs lieux de travail avant le début des manifestations » (35).
L’autre suggestion de redéfinition du statut de l’opposition au point V – « Est considérée comme parti de l’opposition toute formation politique qui n’est pas dans un accord de gouvernement, sauf dans le cas de gouvernement d’union nationale ou de cohabitation » – devrait permettre de mettre de l’ordre et surtout fin au bordel créé depuis plusieurs années par l’Union des forces de changement (UFC). Bien qu’étant lié au régime en place par un accord de collaboration signé en mai 2010 avec le Rassemblement du peuple togolais (RPT) et siégeant au gouvernement, le parti de Gilchrist Olympio s’est toujours réclamé de l’opposition et en a partagé les avantages et joui.
Le couplage des élections (présidentielles et législatives) suggéré – « En vue de parvenir à l’organisation des élections générales (présidentielles et législatives, couplées), il est proposé l’harmonisation de la durée des mandats des élus. Une telle mesure limitera les coûts exorbitants qu’engendrent ces élections », point 33 – permettrait d’amoindrir les dépenses et faire des économies qui pourraient être investies dans la satisfaction des besoins sociaux. Surtout lorsqu’on sait que l’organisation des élections est très onéreuse pour le Togo et s’évalue en plusieurs dizaines milliards de FCFA, même si le coût n’a jamais été officiellement révélé, notamment depuis que le régime en place a décidé de se priver des financements extérieurs, de l’Union Européenne précisément, pour des raisons jamais élucidées…
La CNAP a par ailleurs requis des mesures d’apaisement pour les personnes impliquées (sic) dans les affaires des incendies des marchés de Kara et de Lomé, notamment l’accélération des procédures ou l’abandon pur et simple des charges (proposition 46), et pour celles arrêtées et jugées pour les manifestations publiques et assimilées, la grâce présidentielle (47).
Enfin, la CNAP prévoit la mise en place d’un Cadre permanent de concertation (CPC) pour la poursuite des sujets n’ayant pas pu faire l’objet de consensus ou être discutés à fond compte tenu de l’insuffisance du temps limité (litiges fonciers, gouvernance économique, crise sanitaire…) et d’autres questions jugées importantes mais non inscrites à l’agenda de ce dialogue.
Il faut le souligner, ce sont juste des propositions soumises par la CNAP et il reviendra au gouvernement d’en disposer. Il est donc possible que certaines, pourtant légitimes et soutenues par de bonnes intentions, soient rejetées. En plus, avec le régime en place et les nombreuses jurisprudences passées, une chose est de signer des accords, une autre est de le voir en respecter les clauses. Même en cas de validation des propositions de la CNAP, leur mise en œuvre le moment venu n’est pas évidente. Mais il n’est pas superfétatoire de mettre en exergue ces avancées manifestes enregistrées avec les propositions formulées et qui, nous revient-il, auraient été faites par les partis de l’opposition, toutes tendances confondues, représentés à ces discussions qui se sont déroulées du 19 janvier au 13 juillet 2021. Ils auront donc « servi à quelque chose », pour reprendre l’expression triviale, malgré l’atmosphère de scepticisme qui entoure ce dialogue au sein de l’opinion…
Wait and see.