Plage rongée, maisons, routes et autres infrastructures communautaires englouties par les eaux, l’érosion côtière continue de causer des dégâts dans les localités longeant le littoral au Togo, en toute impuissance des populations. De Gbetsogbe à Aného en passant par Doévikope, Agbodrafo, les dégâts sont identiques…Quelques témoignages de victimes et/ou riverains.
Agbodrafo-Kpeme
« « Moi je suis né ici (Agbodrafo, Ndlr). Lorsque j’avais 15 ans, si j’ai bonne mémoire, arrivé à la mission catholique qui se trouve à la plage, vous allez parcourir encore au moins 1 kilomètre avant d’atteindre la mer (ça doit être dans les années 66-67). Aujourd’hui vous allez constater comme moi que la mer est juste à une dizaine de mètres (…) Mon père avait des cocotiers sur le littoral, ils avaient commencé par tomber. Aujourd’hui il n’y a plus de cocotiers…C’est dû à l’avancée de la mer», confie Edoé Gunn, le maire de la commune des Lacs 3 rencontré dans le cadre de cette enquête. L’autorité communale évoque comme repères une station Texaco en bordure de la mer, de même qu’un bar dancing célèbre, engloutis aujourd’hui par l’océan. L’église catholique tient encore à peine. « De ce bâtiment, vous pouviez faire plus d’un kilomètre avant de voir la mer…Mais aujourd’hui quand il y a des vagues violentes, l’eau vient stagner juste derrière», se désole-t-il.
« J‘avais un frère qui travaillait à Kpémé, un de ses amis avait une maison là-bas et on allait chez lui. Mais aujourd’hui les habitations tout le long de la plage n’existent plus, emportées toutes par la mer », relate le maire, avec nostalgie (…).
Doèvikope
« Là se trouvait notre maison. Il y avait 6 pièces pour tous et chacun avait la sienne. Papa et maman avaient à part une chambre-salon WC douche. C’est ici que nous avons grandi avant que la mer ne commence à éroder la plage et la maison. Les 6 pièces sont parties en premier. On s’est tous retrouvés dans la chambre-salon. Un jour, la mer a tout emporté. A pareille heure, on ramassait ce qu’on pouvait (…) On nous avons trouvé un endroit où on a fait un abri provisoire en claie. On y est depuis deux ans, nous n’avons pas de moyens pour reconstruire une nouvelle maison». Habitante du village et victime de l’érosion côtière, Mme Akpénè Gbogbo nous racontait le drame vécu, montrant de la main et de loin dans la mer un endroit et des blocs de briques enfouis dans le sable, en fait des résidus de maisons englouties. Tout cela s’est passé il y a juste deux ans.
Postée près d’un puits haut d’environ 3 mètres perdu dans le sable, elle nous apprend : « Ce puits que vous voyez, c’était un puits familial, pour toute la maisonnée ». Assez expressif du phénomène. Là où elle habite actuellement avec sa maman, ses enfants et autres proches, c’est un abri provisoire en claies. Mais au rythme endiablé de l’avancée de la mer, elle n’est pas sûre d’y rester jusqu’aux fêtes de fin d’année. « Nous savons que nous n’allons pas rester ici longtemps. Si la mer décide d’emporter tout en trois ou un jour, elle le fait », confie-t-elle, nous montrant un pan de mur tenant à peine debout, rescapé (sic) d’une clôture d’un terrain acheté, nous dit-on, par un expatrié, mais dont les autres côtés sont emportés par la mer.
A Doévikopé, les morts n’ont plus de place. Les enterrements de proches ont lieu dans d’autres villages à l’abri des vagues (…) « C’est douloureux d’inhumer un parent ailleurs que chez lui. Il y a vécu et la coutume veut qu’il y soit enterré. Mais comme nous n’avons pas de cimetière, il faut aller ensevelir nos morts à Baguida, loin du village. Egalement, les couvents vodous se trouvent aujourd’hui au fonds de la mer alors qu’ils représentent nos croyances, notre essentiel », a regretté le chef du village Togbui Bobolè.
Gbétsogbé
« Nous sommes au 3e Gbétsogbé. C’est deux fois que la mer nous a chassés et qu’on a ramassé nos bagages…Même sur le 3e site actuellement, la mer vient jusqu’ici». Ce témoignage de Togbui Dzromawu Kodzo Gbétsogbé V rencontré est assez illustratif (…)
Fondé en 1845, Gbétsogbé était vaste de 2 ha et la mer était distante des habitations. Mais de nos jours, les deux sont mitoyennes et presque serrées-collées. Beaucoup de maisons ont été englouties au fil des années. « Ici, c’était notre champ, à peu près un kilomètre de la mer », confie le chef de ce village proche du port de pêche communément appelé Harbour. Il y a aujourd’hui à peine 60 m entre la mer et la maison de l’autorité coutumière. Et même parfois lorsque les vagues sont fortes, elles viennent s’échouer sous la clôture. A côté, le WC communautaire qui tient encore à peine debout. Pour lui permettre de résister un peu, on a dû le clôturer d’un mur en brique.
« Nous avons déplacé nos morts deux fois. La 3e fois, on n’a rien vu ». Ce ne sont pas que des habitations qui ont été englouties. Comme indiqué dans le témoignage ci-dessus, les cimetières aussi sont passés à la trappe, avec les corps. Les populations n’ont donc pas perdu seulement leurs maisons et autres biens matériels ; la mer a emporté aussi leurs défunts, divinités, croyances, pratiques culturelles…
Source : L’Alternative N°1092 du 20 janvier 2023
Extraits du dossier « Erosion côtière au Togo : Plage, habitations, terres, routes…Dans la gueule de l’océan »