Une heure trente minutes environ d’exposé, quarante-cinq minutes de questions-réponses…Le Président de la Cour suprême et du Conseil supérieur de la magistrature suprême a fait le diagnostic sans concession de la justice togolaise. De la lenteur à la cupidité des magistrats en passant par le problème foncier, le phénomène des démarcheurs judiciaires, des gros bras, Abdoulaye Yaya n’a rien occulté. Ce qui a surpris agréablement plus d’un, ce sont la franchise et les mots durs utilisés pour dépeindre la situation. Salves, coups de gueule, uppercuts, punchlines, réquisitoires… tous les termes sont bons pour apprécier cette sortie peu ordinaire. Il n’a pas raté ses collègues, mais alors pas du tout. Voici quelques extraits de la déclaration liminaire, mais également de son intervention.
« Nous sommes ici pour acclamer la majorité qui s’efforce de bien faire malgré les difficultés qu’on trouve dans tout métier et en même temps pour fustiger la minorité qui fait mal».
« Il y a des décisions qui ne sont pas délivrées il y a un an que le cas a été tranché ».
« Cette démission des chefs de cours, des tribunaux, à assumer leurs responsabilités a contribué à désorganiser le service public de la justice laissé aux mains de ces juges indélicats qui ne respectent pas les procédures et qui se livrent à un enrichissement (…) sur le dos des justiciables qui sont déjà éprouvés par leurs litiges».
« Ce que nous disons ici ne vient pas de la bouche de quelqu’un qui est meilleur, ce que je dénonce ici ne vient pas de la tête de quelqu’un qui est parfait (…) Je pense que nous sommes les moins mauvais ».
« Si vous ne pouvez pas exercer ce métier, si vous n’en avez pas la vocation ou la dévotion, mais c’est pour mystifier vos semblables ou piétiner l’esprit sacerdotal de ce métier».
« On ne doit jamais demander avant, on attend la gratification. Le remerciement, la reconnaissance, la manifestation de la gratitude, ça vient toujours après l’effort fourni ».
« Si votre ambition première est de faire des sous, comme on dit, et vous exercez dans la magistrature, c’est criminel (…) C’est comme un boucher qui postule pour être chirurgien».
« La veuve et l’orphelin viennent à nous (…), nous les rançonnons, nous les rackettons. Il peut arriver même que des prisonnières soient enceintées par des juges, au train où ça va là ».
« Depuis que les affaires foncières affluent à la justice, depuis qu’il y a pléthore de litiges fonciers, fabriqués d’ailleurs, il y a une propension, les juges deviennent des propriétaires terriens ».
« Le juge qui brille par sa connaissance et son savoir, doit également briller par sa tempérance et sa sobriété, surtout par la modestie de son appétit. S’il est gourmand et cupide, eh bien il n’a pas sa place dans la magistrature ».
« Il y a des juges corrompus, des auxiliaires corrompus »
« Le juge participe à l’insécurité judiciaire. Heureusement que je le dis entre justiciables togolais. Si ça sort des zones de nos frontières, des gens vont se précipiter au Togo pour vouloir tout simplement demander à racheter notre justice. C’est à privatiser, parce qu’il y a beaucoup d’argent là-dedans. N’importe quel entrepreneur, milliardaire ou multimillionnaire va dire que cette structure-là, je vais l’acheter. Monsieur le Président (de la République), Mme le PM, Monsieur le ministre de la Justice, faites-moi un prix».
« Qu’il me plaise ici d’invoquer le sens civique qui est un devoir dont le respect est essentiel à la paix civile et à la pérennité de l’Etat (…) Mais aujourd’hui, c’est regrettable et consternant de constater la facilité et l’insouciance avec lesquelles certains magistrats et auxiliaires de justice se livrent dans la gestion des dossiers dont ils ont la charge ».
« Le problème prend de plus en plus d’ampleur, surtout dans la gestion des affaires foncières. Ça, c’est la plaie de la justice togolaise, affaire de terrain ».
« Il y a un fruit qui ne périt pas, ne pourrit pas, c’est le résultat de l’honnêteté ».
« Nous allons exercer un métier le plus impopulaire, c’est d’être censeur ».
« Je nous prie de nous ressaisir ».