Spécialiste en Sciences de l’information et de la communication, enseignant dans les établissements du supérieur au Togo, formateur des agents des administrations publiques en Afrique sur les techniques de gestion physique et électronique des documents, Dr Junior Holonou Danklou, dans cet entretien accordé au journal en ligne « Le Tabloïd », se prononce sur la politique togolaise. Il passe notamment à la loupe la communication politique et en identifie les faiblesses, relève les facteurs dont dépend l’avènement de l’alternance, aborde la problématiques du manque d’engagement des intellectuels dans le combat démocratique et les contributions éventuelles de l’intelligentsia. Enfin, cet universitaire qui a plusieurs autres compétences et casquettes, formule cinq pistes de solutions à l’équation togolaise…
En termes de communication politique, vous détectez des insuffisances dans les discours des responsables acteurs togolais, aussi bien du parti au pouvoir que de l’opposition. Donnez-nous davantage d’explications.
En général, les insuffisances dans les discours des responsables politiques varient en fonction des contextes du pays. Il y a des exemples d’insuffisances courantes dans les discours des responsables politiques :
-Manque de sincérité : les responsables politiques tiennent parfois des discours qui ne reflètent pas leur véritable intention ou position sur les sujets sociaux. Cela est perçu comme une forme de manipulation ou de mensonge, ce qui peut créer un manque de confiance de la part des citoyens ;
-Manque de prise en compte des préoccupations des citoyens : les responsables politiques ne tiennent pas compte des préoccupations des citoyens dans leurs discours, ce qui peut donner l’impression qu’ils sont déconnectés de la réalité ou qu’ils ne se soucient pas des problèmes réels que les citoyens peuvent rencontrer ;
-Utilisation de discours stéréotypés : les responsables politiques utilisent des discours stéréotypés qui ne contiennent pas de véritable substance ou qui sont trop généraux pour être réellement utiles. Cela peut donner l’impression que les responsables politiques manquent d’idées ou de solutions concrètes pour résoudre les problèmes ;
Ils tiennent souvent des discours creux. Je parle bien sûr de tous les politiciens togolais, pas seulement d’un bord donné. Il leur manque un véritable travail de veille informationnelle que leurs conseillers ne font pas. Je donne un exemple : pendant les campagnes électorales, lorsque ces responsables politiques se promènent de ville en ville ou de village en village, ils devraient connaitre les problèmes les plus pertinents qui préoccupent les populations du milieu et proposer des solutions à ces problèmes, ce qui constituerait leur engagement vis-à-vis du milieu. Mais quand vous les suivez, ils ne racontent que des balivernes, parce qu’ils ne sont pas informés de ce dont souffrent les populations.
-Manque de clarté : les responsables politiques manquent également de clarté dans leurs discours, en utilisant des termes techniques ou en évitant de répondre clairement aux questions posées. Cela créé de la confusion et donne l’impression que les responsables politiques ne sont pas en mesure de communiquer efficacement avec les citoyens.
En somme, les insuffisances dans les discours des responsables politiques se manifestent sous différentes formes, allant du manque de sincérité à l’utilisation de discours stéréotypés ou au manque de prise en compte des préoccupations des citoyens. Ces insuffisances affectent la confiance des citoyens dans leurs dirigeants et leur perception de la qualité de leur gouvernance.
Pourquoi pensez-vous que la communication politique est très importante pour ces acteurs ?
La communication politique est très importante pour les acteurs politiques car elle leur permet de transmettre efficacement leur message aux électeurs et à d’autres parties prenantes. La communication politique peut prendre de nombreuses formes, notamment les discours, les déclarations publiques, les débats, les messages sur les réseaux sociaux et surtout les publicités politiques qui sont une mise en scène pour attirer la confiance des populations.
Les acteurs politiques ont besoin de communiquer pour convaincre les électeurs, pour expliquer leurs politiques et leurs positions, et pour gagner le soutien des groupes d’intérêts et des parties prenantes. La communication politique est essentielle pour la construction d’une image publique favorable et pour établir la confiance et la crédibilité auprès des électeurs.
La communication politique aide également les acteurs politiques à influencer l’opinion publique et à façonner le débat politique. En utilisant les médias et les réseaux sociaux, les politiciens peuvent atteindre un large public et donner leur point de vue sur des questions d’actualité, ce qui peut influencer l’opinion publique et les décisions politiques.
On remarque au Togo un silence de cimetière des gouvernants en cas d’évènements malheureux qui ne les concernent pas (décès tragiques d’un grand nombre de personnes, par accident ou par autre chose…).
Enfin, la communication politique peut aider les acteurs politiques à maintenir la cohésion et l’unité au sein des populations. Les politiciens peuvent communiquer avec leurs collègues pour s’assurer que tout le monde est sur la même longueur d’onde et travaille ensemble vers des objectifs communs.
Au demeurant, la communication politique est cruciale pour les acteurs politiques car elle leur permet de transmettre leur message, de gagner le soutien des électeurs et des parties prenantes, d’influencer l’opinion publique et de maintenir l’unité au sein de leur parti politique. Leur silence est coupable !
Regard extérieur et d’intellectuel, quelle appréciation faites-vous de l’état de la démocratie togolaise ?
Hum, le Togo est incliné sur le plan démocratie. Le peuple est tenu par la gorge. Le mieux, c’est de se taire.
Le Togo a connu des périodes d’instabilité politique au cours des dernières décennies, caractérisées par des coups d’État militaires, des élections contestées et des violences politiques. Cependant, depuis l’élection présidentielle de 2005, le pays a connu une certaine stabilité politique.
En ce qui concerne le fonctionnement de la démocratie au Togo, il y a des préoccupations au sujet de la liberté de la presse et d’expression, ainsi que des allégations de corruption et de violations des droits de l’homme. Des mesures ont été prises pour renforcer la participation citoyenne, la transparence et la responsabilité, mais il reste encore beaucoup à faire pour consolider et renforcer la démocratie togolaise.
Il est important de noter que l’évaluation de l’état de la démocratie dans un pays est un processus complexe et implique l’examen de nombreux facteurs, tels que l’État de droit, la participation politique, les droits de l’Homme, la transparence et la responsabilité. Par conséquent, toute évaluation doit être basée sur une analyse approfondie et objective de ces facteurs.
Croyez-vous, comme le prétendent certains, que l’alternance au pouvoir est une alternative sérieuse ?
Oui. L’alternance au pouvoir est une alternative sérieuse au Togo, à condition qu’elle soit accompagnée d’un véritable débat démocratique, de programmes politiques crédibles et de la volonté de tous les acteurs politiques de travailler ensemble pour le bien commun. Il ne s’agit pas de remplacer le sorcier par le voleur ou vice-versa.
Croyez-vous à son avènement au Togo ?
Il est donc difficile de dire si l’alternance est possible au Togo dans l’immédiat, car cela dépendra de nombreux facteurs, tels que la capacité de l’opposition à s’unir et à proposer une alternative crédible, la volonté du pouvoir en place de respecter les règles du jeu démocratique et la pression internationale exercée sur le régime en place pour qu’il fasse des réformes politiques et institutionnelles significatives.
Une sorte de léthargie s’est installée depuis au moins 2020. Partagez-vous ce constat ?
Oui, une léthargie politique qui s’est installée au Togo depuis 2020. Cela est dû à différentes causes, notamment la pandémie de Covid-19, les problèmes économiques et sociaux, ainsi que les tensions politiques entre le régime en place et les politiciens. Des manifestations sont systématiquement interdites et ceux qui critiquent ouvertement le pouvoir sont persécutés. Cependant, il convient de noter que cette situation est susceptible de changer à tout moment en fonction des développements politiques, sociaux et économiques dans le pays.
D’aucuns reprochent à la classe intellectuelle une sorte de démission du combat démocratique au Togo. Cette accusation est-elle fondée ?
Il est vrai que certains observateurs ont reproché à la classe intellectuelle togolaise de ne pas s’engager suffisamment dans le combat démocratique dans le pays. Cette critique peut s’expliquer par plusieurs facteurs, notamment le fait que les intellectuels togolais sont souvent confrontés à des contraintes et des pressions politiques, économiques et sociales qui peuvent limiter leur capacité à s’exprimer librement. En outre, il y a aussi des divergences d’opinions et de stratégies entre les intellectuels et les autres acteurs politiques, ce qui peut conduire à une certaine fragmentation et à une difficulté à mobiliser efficacement.
Quelles contributions justement de l’intelligentsia togolaise ?
Les contributions de l’intelligentsia togolaise pour accroître la démocratie et atteindre l’alternance politique dans le pays, passent par son engagement dans des domaines tels que la défense des droits de l’homme, la mobilisation des populations, la production d’analyses critiques des faits politiques et sociaux, la promotion de la démocratie participative, la sensibilisation de l’opinion publique et enfin l’interpellation des institutions internationales de promotion de la démocratie
Quelles autres pistes de solutions identifiez-vous à l’équation togolaise ?
Pour atteindre la démocratie et l’alternance politique au Togo, plusieurs pistes peuvent être envisagées :
-Promouvoir la participation citoyenne : Il est important de favoriser la participation des citoyens dans les processus de prise de décision et d’encourager la transparence et la responsabilité des autorités. Cela peut passer par la mise en place de mécanismes de consultation et de participation citoyenne, ainsi que par la sensibilisation et l’éducation civique ;
-Renforcer la société civile : La société civile joue un rôle important dans la promotion de la démocratie et des droits de l’homme. Il est donc important de renforcer les organisations de la société civile et de leur accorder une plus grande liberté d’expression et de participation ;
-Favoriser la liberté de la presse : Une presse libre et indépendante est essentielle pour assurer une information pluraliste et critique, ainsi que pour dénoncer les violations des droits de l’homme et les pratiques antidémocratiques ;
-Promouvoir la diversité politique : Il est important de favoriser la participation de toutes les forces politiques dans le processus démocratique, en garantissant une élection libre et transparente et la sécurité et la liberté d’expression pour tous les candidats.
-Encourager la coopération internationale : La coopération internationale peut jouer un rôle important dans la promotion de la démocratie et des droits de l’Homme au Togo, en apportant un soutien technique et financier aux initiatives de renforcement de la démocratie et de la société civile, ainsi qu’en exerçant une pression diplomatique sur les autorités togolaises pour respecter les principes démocratiques.