La lutte politique pour le changement au Togo est dans une impasse, c’est un secret de Polichinelle, et aucune issue ne point à l’horizon au niveau des partis politiques l’incarnant. Le Parti national panafricain (PNP) qui a entre-temps incarné le combat et l’espoir est devenu méconnaissable, la Dynamique Mgr Kpodzro (DMK) à qui le flambeau de l’opposition semble avoir été remis avec la présidentielle du 22 février 2020 est muselée et (presque) réduite au silence, l’Alliance nationale pour le changement (ANC) et Jean-Pierre Fabre qui entretenaient depuis des années le flambeau de la contestation se sont rangés, la société civile est impuissante. Mais alors quelle issue ? L’activiste de l’opposition et de la société civile Fovi Katakou s’est épanché sur la problématique, dans un entretien à nous accordé.
« Dans chaque phase de la lutte, à un moment donné, il faut faire une autocritique, voir ce qui n’a pas marché, ce qui a marché, en quoi est-ce que j’ai contribué positivement ou bien négativement à la lutte », fait observer Fovi Katakou. .
Quelle partition de la société civile ? « Avant 2017, l’opinion publique, c’est : la société civile ne fait pas la politique. Et je me rappelle que le Mouvement Nubueke était l’une des seules associations à s’engager ouvertement au niveau de la société civile. C’est avec les événements de 2017 que beaucoup d’autres associations sont nées et s’engagent d’une manière ou d’une autre. Mais le mal est qu’au Togo, beaucoup ne s’engagent pas corps et âme dans la société civile comme il faut et ils n’y consacrent pas tellement de temps », entame-t-il.
Le Président du Club Nubueke Adidogome identifie même un problème de formation des partisans de la lutte politique. « Quand on parle de la société civile, on fait référence à la lutte non violente ; or la lutte non-violente exige beaucoup de formations, d’apprentissage, de discipline et de rigueur. Ce n’est pas quelque chose qu’on fait pour parler à tort et à travers parce que l’arme, c’est la psychologie. Il faut utiliser les faits psychologiques, culturels, économiques pour pouvoir neutraliser, récupérer les piliers du pouvoir ».
Fovi Katakou identifie le problème de l’opposition au Togo ; il la trouve «stérile devant les positions idéologiques ». « Dans les partis politiques pro-démocratie, il y a des gens qui disent : notre vision, c’est d’aller aux élections, nous pensons que nous pouvons nous servir des élections pour faire partir ceux-ci. D’autres disent : l’élection n’est pas la solution, nous, c’est la révolution populaire. D’autres encore disent, à tort ou à raison, qu’il faut faire une lutte armée », relève-t-il, et de se demander si on a besoin d’opposer tout cela. « Ce n’est pas parce que l’autre dit qu’il faut une lutte armée que les autres sont des traites. La question d’accuser l’autre de traite, etc. fait qu’on perd l’essentiel et on se diffame. Et quand on vient sur les médias, au lieu qu’on s’occupe de l’éducation de la masse, d’éveil des consciences, on s’emploie plutôt à se justifier ou à attaquer l’autre. Quand on donne le temps d’antenne à un leader d’opinion ou de parti politique, ce qu’ils font, c’est de se justifier, se dédouaner ou bien s’attaquer à l’autre. Or ce faisant, le peuple n’apprend rien sur ce qui le concerne ou ce qu’il doit faire », regrette Fovi Katakou.
Quelle est alors la solution à l’équation togolaise ? Que doivent faire les partis politiques ? Il croit fermement qu’il faut s’inspirer des autres : « Les gens ont déjà montré l’exemple : Steeve Biko, les jeunes qui ont fait que l’apartheid a été démantelé en 1990, les jeunes serbes, ce qu’ils ont fait, les jeunes burkinabé, Y en marre…Il y a eu des outils que les gens ont utilisés à travers les méthodes de Gene Sharp dans l’ouvrage « De la dictature à la démocratie ». On a élaboré des principes là-bas, il y a les méthodes de lutte non-violente, beaucoup de principes. Donc il va falloir que nous nous organisions, ré-analysions la société togolaise, identifions les éléments qui ont un impact sur la conscience collective togolaise et qui entretiennent la résignation, et maintenant par rapport à ça, sachions comment travailler pour déconstruire ça ».
Il constate par ailleurs un problème de ressources humaines au niveau des partis politiques et insiste sur leur renforcement. « On a un problème au Togo, c’est celui de ressources humaines. Aussi, les jeunes de 1990 à 2000 et 2005 sont sans conscience politique ; leur seul objectif, c’est comment faire pour sortir la tête de la misère ou fuir le pays. Devant cette situation, les partis politiques et les associations ont un problème de ressources humaines qualifiées pouvant mener les luttes qu’il faut. Il y a aussi la misère qui agit. La chose la plus importante aujourd’hui, c’est de savoir que quand on veut faire le changement, il faut se violenter. A chaque fois qu’on veut parler, il faut se demander : ce que je vais dire, est-ce que ça va redonner confiance au peuple et il va se lever lui-même pour ses droits socioéconomiques ? Il faudrait que nous amenions les gens à comprendre que quand on se lève, ce n’est pas pour un parti politique, un leader. Par notre engagement, notre détermination, notre éveil, les nouveau-venus ne pourront plus faire la même chose que leurs prédécesseurs. Avec les nouveau-venus, le champ économique ou socioculturel va s’élargir, il y aura beaucoup d’opportunités. Ce n’est pas parce que ce n’est pas mon oncle, moi-même ou mon frère qui va être Président que je vais dire non, c’est inutile de lutter, car ce sont les autres qui vont venir prendre. Non ! Quelle que soit la lutte, il y a des gens qui vont venir diriger. Et c’est la manière dont on a contribué à avoir une conscience politique donnée, une société éveillée qui fait que les nouveau-venus sont obligés de faire la volonté du peuple », déclare l’activiste de l’opposition et de la société civile.
Pour lui, « l’objectif de notre lutte doit être de redonner au peuple le pouvoir de démettre tout citoyen qui va venir et qui ne va pas faire sa volonté, ça doit être notre leitmotiv. Donc on doit faire tout pour amener les gens à ne plus penser que quand on lutte, c’est pour un leader ou un parti politique. C’est ce qui affaiblit les gens. On doit aussi repenser à comment, en cas d’arrestation, s’organiser autour des camarades arrêtés, leurs familles ; mais également les juges qui maintiennent les gens en prison, les parents des agents qui arrêtent et violentent, les formes de pressions psychologiques qu’on peut exercer sur eux. Nous, on n’a pas la force, mais on peut, à travers leurs familles, leurs enfants, exercer une pression sur eux. Aujourd’hui avec les réseaux sociaux, on peut jouir de beaucoup de choses. Donc la question principale, ça relève de notre discipline. C’est à nous de nous discipliner, de faire violence sur nous et savoir ce qu’il faut dire, ce qu’il ne faut pas dire et ce qu’il faut faire pour renforcer tout le monde ».
Fovi Katakou croit fermement que « nous devons surtout démystifier la mort et les arrestations. Parce qu’il n’y a pas de lutte où on ne va pas arrêter ou bien tuer », tout en nuançant que « ca ne veut pas dire qu’il faut aller mourir ou se faire arrêter bêtement ». « Il va falloir qu’on proscrive certains discours dans nos langages : les morts inutiles, arrêtés inutilement, le Togolais a trop donné. Quand on dit aux Togolais qu’ils ont trop donné, ils vont encore donner quoi ? », conseille-t-il, fustigeant les leaders d’opinions qui viennent sur les médias et disent ces genres de choses… «Aujourd’hui on a une population où plus de 70 ou 80 % sont nés entre 80 et 2005 et constituent la population active. Ces gens ont donné quoi concrètement pour cette lutte ? Les gens qui ont donné, beaucoup sont déjà morts. Mais quand on prend cette frange de Togolais-là, qu’est-ce qu’ils ont donné ? La plupart des Togolais ne sont pas engagés, chacun se contente de es affaires, sa famille, sa maison, sa voiture. Mais est-ce qu’on va continuer à affirmer cette histoire que les Togolais ont trop donné ? Et en plus, la plupart de ces gens qui disent qu’ils ont trop donné, ils ont peut-être participé à deux ou quatre marches, lancé peut-être deux cailloux et ils disent qu’ils ont fait la lutte, qu’ils sont des engagés. Non, la lutte ce n’est pas participer à une marche, lancer deux cailloux et on devient combattant de la liberté », relève M. Katakou.
Il identifie une autre piste de solution, la formation politique et citoyenne. « Il faut se former. Et quand on dit se former, il ne s’agit pas d’avoir des diplômes, de l’argent. Il y a des livres alternatifs. Tous les leaders qui ont provoqué le changement se sont formés. Markus Garvey n’a pas fait de grandes études, de même que Malcom X, mais ils se sont eux-mêmes formés. Même Jésus-Christ s’est aussi formé parce que dans la Bible, on nous a parlé de lui de 0 à 12 ans ; de 12 à 30 ans, Jésus-Christ a disparu. Il est allé où ? Il est allé se former. Parce que quand Jésus parle, il dit souvent : il a été écrit. Il le sait comment ? Parce qu’il a appris. Donc nous ne pouvons pas vouloir le changement sans nous former. La question principale aujourd’hui est notre autoformation, notre autodiscipline. Et nous devons rediscipliner notre communication. L’arme que nous avons par rapport à ceux-ci, c’est notre communication ; et la communication est toujours idéologique et politique, il n’y a pas de communication neutre. Quand on parle, en tant que combattant de la liberté, soit on renforce le peuple, soit on le démobilise, soit on désorganise l’adversaire en face ou on le renforce. Donc à nous de savoir ce qu’on veut ou là où on veut aller », dit-il.