Prof. Simon-Pierre Komi KOUVON
Enseignant-Chercheur en philosophie à l’Université de Lomé
La démocratie n’est pas une simple idée. Elle est une pratique, une expérience réelle de l’exercice de la liberté, d’égalité, des droits, des valeurs et des principes. Elle est, selon les mots de John Dewey[1], une expérience concrète du peuple : « La démocratie n’est pas une abstraction mathématique, mais une expérience vivante du peuple ». Cette expérience est fondée sur l’idée selon laquelle le sujet politique n’est pas seulement le destinataire de la loi, mais aussi et surtout le législateur autonome.
Toutefois, cette expérience démocratique rencontre, dans les faits, des difficultés majeures un peu partout dans le monde. Les écueils de l’expérience démocratique se situent à plusieurs niveaux : la représentation, le marché, la conquête et la conservation du pouvoir et l’exercice de la citoyenneté.
Premièrement l’expérience démocratique souffre, en effet, de la représentation en ce sens que, dans la représentation[2], les intérêts particuliers ont tendance à primer sur l’intérêt général. Il y a ainsi, dans la représentation, le risque potentiel du déni de la volonté générale et de la liberté : « Le peuple anglais, écrivait Montesquieu, pense être libre, il se trompe fort ; il ne l’est que durant l’élection des membres du parlement : sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien. Dans les courts moments de sa liberté, l’usage qu’il en fait mérite bien qu’il la perde ».
Le second écueil que rencontre la démocratie moderne vient du marché et des multinationales. Il est certes vrai que l’économie de marché a produit des effets « démocratiques » en ce qu’elle libère les individus des ordres hiérarchiques, pose l’égalité des individus comme principe général d’action sociale et favorise la diversité des initiatives individuelles. Cependant, le libéralisme économique s’est développé en réduisant progressivement l’individu à sa seule dimension économique, oubliant ou négligeant ses dimensions sociale, politique, culturelle. Et ce développement unidimensionnel a produit de terribles inégalités dans l’accès à l’emploi, à l’éducation, à la santé, au logement, qui mettent en cause, aujourd’hui, non seulement la cohésion politique des sociétés, mais aussi l’idée même d’individu que le libéralisme portait à l’origine. Le capitalisme écrase l’individu et les marchés imposent leurs lois aux politiques et aux citoyens.
Le troisième écueil qui inhibe l’élan démocratique est, surtout dans les États africains, la conquête et la conservation du pouvoir. L’observation des expériences de transition démocratique africaine montre que la volonté de conquérir ou de conserver le pouvoir à tout prix constitue une menace sérieuse à l’édification et à l’enracinement de la démocratie.
Le quatrième écueil et non le dernier est l’exercice de la citoyenneté : l’expérience de la citoyenneté dans les États-nations d’Afrique depuis les années 90 déclenche des attitudes et des dynamiques qui lui sont contraires et en entravent le bon fonctionnement. Il s’agit notamment de l’égocentrisme, de l’ethnocentrisme, du clivage ethnique ou tribal, du militantisme ayant pour conséquences, entre autres, la déchirure sociale et la perte du bien commun.
C’est ce quatrième écueil qui est le fil directeur de cette communication qui a pour objectif de fournir les éléments destinés à éclairer la problématique de la citoyenneté dans le projet démocratique contemporain. Pour ce faire, j’aimerais procéder en trois temps : 1) citoyenneté dans les sociétés démocratiques ; 2) citoyenneté, justice et engagement pour le bien commun ; 3) les conditions d’un bon exercice de la citoyenneté.
[1] John Dewey cité par Dominique Rousseau, Radicaliser la démocratie. Propositions pour une refondation, Paris, Seuil, 2015.
[2] Montesquieu le constatait déjà à la suite de Jean-Jacques Rousseau
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