C’est le moins connu des officiers ministériels et auxiliaires de justice. Certains l’assimilent carrément à la police. D’autres n’en ont même jamais entendu parler. C’est quoi exactement un commissaire-priseur ? Quelles sont ses attributions ? Comment devient-on commissaire-priseur ? Pourquoi n’est-il pas assez connu ? L’avenir de la profession…Zoom sur le métier avec Me Atta Koamivi Lithor (photo), commissaire-priseur et président de la Chambre des commissaires-priseurs du Togo, dans cette interview accordée au site d’info et de divertissement letabloid.com.
C’est quoi un commissaire-priseur ? Quel est exactement son rôle ?
Un commissaire priseur, c’est un auxiliaire de justice, c’est-à-dire qu’il a un office qu’il détient en tant que représentant de l’autorité publique chargée de remplir une mission en réalité pour le compte de l’État. Il est un auxiliaire de justice, au même titre que l’avocat, l’huissier et le notaire. Il est également un officier ministériel, au même titre que le notaire et l’huissier de justice. Faut-il le rappeler, il y a trois types d’officiers ministériels : le notaire, l’huissier de justice et le commissaire-priseur. C’est-à-dire qu’en réalité, nous sommes titulaires de charge et c’est l’Etat qui nous les a attribuées. Donc nous sommes des officiers ministériels et des auxiliaires de justice. Ca veut dire que nous participons à l’administration de la justice. L’avocat, l’huissier, le notaire et le commissaire-priseur, nous sommes tous des auxiliaires de justice. Mais nous trois, nous sommes des officiers ministériels.
Spécialement, le commissaire-priseur est chargé de procéder, dans les conditions fixées par les lois et règlements en vigueur, aux estimations et aux ventes publiques aux enchères des meubles et effets mobiliers corporels après saisies. Dans notre texte, c’est-à-dire la loi qui régit la profession, les commissaires-priseurs ont seul compétence, pour organiser et réaliser les ventes judiciaires de meubles aux enchères publiques et faire les inventaires et prisées correspondants.
Il est vrai qu’en matière de vente, il y a deux sortes à savoir, la vente judiciaire et la vente volontaire. La vente judiciaire, c’est généralement les biens saisis par l’huissier de justice, et ces biens sont confiés au commissaire-priseur. Après toute la procédure, c’est le commissaire-priseur qui se charge de procéder à la vente desdits biens ; et ça, c’est ce que nous appelons la vente judiciaire. Mais la vente volontaire est effectuée et par le commissaire-priseur, et par l’huissier.
Il faut dire que c’est une anomalie parce qu’en réalité, ce sont les commissaires-priseurs qui interviennent et dans les ventes judiciaires, et dans les ventes volontaires. La vente volontaire consiste à ce qu’un particulier, une société ou bien une organisation internationale fasse appel à un commissaire-priseur pour lui demander de faire des ventes des biens réformés ou des biens entre-temps qu’on ne veut plus utiliser et qu’on peut vendre. Là, il ne s’agit pas de dette. Notre texte aujourd’hui traîne une boulette à ce niveau et nous y travaillons pour que désormais, seul le commissaire-priseur procède aux deux ventes concomitamment. Le dossier est d’ailleurs en cours.
Certains pensent tout de suite à la Police en entendant commissaire-priseur. Le commissaire-priseur a-t-il un lien avec la police ?
C’est vrai qu’il y a tellement de confusions. En réalité lorsqu’on parle de commissaire-priseur, il ne faut pas penser tout de suite à la police.
C’est vrai que pour ce qui concerne les liens, je peux dire que oui et non. Oui, puisque lorsque le commissaire-priseur est chargé de faire certaines opérations, comme la loi l’y autorise, il peut se faire assister par la police ou la gendarmerie, la force publique en quelque sorte. Donc c’est là où on peut parler de lien entre le commissaire-priseur et la police. Ca, c’est uniquement sur le plan de l’exécution des tâches que nous faisons. Et évidemment lorsqu’on en a besoin de la police, on a recours au Procureur de la République qui, sur réquisition, nous octroie la présence de la police pour nous assister.
Mais non, parce qu’en réalité, ce sont deux professions carrément distinctes. La police, c’est pour faire respecter l’ordre public. Quant au commissaire-priseur, c’est un auxiliaire de justice, et en même temps un officier ministériel. Donc il n’a rien à cirer avec la police, il n’y a de lien en tant que tel entre les deux professions.
Le commun des citoyens connaît l’avocat, l’huissier et le notaire. Pourquoi le commissaire-priseur, lui, n’est-il pas autant connu ?
C’est vrai quelque part, nous-mêmes nous l’avons reconnu, la profession manque de visibilité au Togo. Je ne dirai pas que c’est à dessein, mais c’est par rapport à sa nature même. Il est vrai que la profession est venue, ça ne fait pas trop longtemps, ca fait à peine une vingtaine d’années. Elle a existé même avant 1994, année au cours de laquelle le premier commissaire-priseur attitré a été nommé. Il s’agissait de feu Gaba-Dovi. Dans le temps colonial, la profession a été exercée par des colons et même par certains Togolais. Ce sont des magistrats, des juges de paix qui jouaient le rôle de commissaire-priseur ad hoc. Mais le premier Togolais à être désigné en tant que commissaire-priseur attitré, c’était en 1994. Moi-même j’ai créé mon cabinet en 1996.
Les causes internes aussi, c’est notre mal organisation. Mal organisation parce qu’en fait, on n’a pas les moyens, on n’est pas nombreux, on ne fait pas de cotisation, il est donc compliqué de faire les choses comme il faut. Nous n’avons pas de salle de vente. Lorsque des expatriés arrivent au Togo, des fois des gens m’appellent et ils me demandent où se trouve la salle de vente des commissaires-priseurs. Nous n’en avons pas. C’est vrai qu’on a fait des démarches auprès du gouvernement pour voir si éventuellement, on pourrait nous céder peut-être une salle, un lieu, un immeuble appartenant à l’État. Mais rien n’a été fait, ce qui fait qu’aujourd’hui, on n’a pas de salle de vente. Avec une salle, il est facile que les gens se réfèrent à nous. Par exemple en France, lorsqu’on parle de la place Drouot, c’est le lieu où on va automatiquement lorsqu’on veut acquérir des meubles, des tableaux ; il y a tout là-bas. Ce que nous n’avons pas encore ici. Peut-être qu’avec le temps, ça viendra.
Par ailleurs, nous n’avons pas de siège. Or une profession qui n’a pas de siège, qui est accrochée au bureau de son président, quand le président se déplace, il se déplace avec la Chambre. Il y a toutes ces difficultés (…) Les autres professions ont eu pratiquement les mêmes problèmes ; puisqu’elles sont là aujourd’hui depuis des dizaines d’années. Nous, nous sommes là depuis seulement un peu plus de vingt (20) ans, la différence est nette. Par ailleurs, nous ne sommes pas nombreux, on est une minorité. Sur treize (13) qu’on était, on est réduit aujourd’hui à neuf (09) sur tout le territoire togolais, les autres sont décédés. Il y a un qui est à Dapaong et les huit autres sont à Lomé. Nous nous débattons pour faire connaitre la profession. J’ai eu à animer plusieurs émissions à la radio, à la télévision. C’est parce que quelque part aussi, les Togolais ne suivent pas tellement les émissions ; peut-être qu’aussi ça dépend des heures auxquelles j’intervenais.
Parlant des causes externes, la profession n’étant pas visible, les gens ne viennent pas vers nous. Autre facteur, la tâche ne nous est pas tellement facilitée, surtout que s’agissant de vente plus précisément, c’étaient les huissiers qui les faisaient. Et évidemment lorsque nous sommes venus, on a eu toutes les peines du monde à s’imposer.
Globalement, je peux dire que depuis un certain nombre d’années, il y a quand même une évolution. On parle beaucoup plus des commissaires-priseurs dans les annonces, dans Togo-Presse, sur les chaines radios où les commissaires-priseurs interviennent pour faire la publicité autour des ventes. Aujourd’hui, la situation s’est beaucoup améliorée et les gens ont commencé à faire appel aux commissaires-priseurs pour procéder à des ventes.
Parlez-nous davantage de ses attributions?
Quand vous prenez notre texte, la loi n°2011-040 portant organisation de la profession de commissaire-priseur au Togo, lorsqu’on se réfère à l’article 2, on a mis ici qu’en outre, ils peuvent être commis pour inventorier des biens à titre d’expertise en vue d’un partage ou pour un contrat d’assurance. Le commissaire-priseur, tout comme le notaire, l’huissier, comme l’avocat, peut faire certaines tâches, telles que la gérance d’immeuble, le règlement à l’amiable. Mais ce qui est sûr, pour nous, les attributions fondamentales, ce sont la prisée et les ventes aux enchères.
Comment devient-on commissaire-priseur ?
Il faut se référer à notre texte, à l’article 6, les conditions générales d’aptitudes à la profession. Mais en dehors des éléments tels qu’il faut être Togolais, âgé de 18 ans révolu, n’avoir fait l’objet d’une condamnation pénale, tout le bataclan qu’on a dans tous les textes, en termes de diplômes, il faut être titulaire d’un master en droit ou de tout autre diplôme équivalent ; il faut justifier ce diplôme-là, et c’est un diplôme attestant une bonne connaissance en histoire ou en histoire de l’art. Et aussi, il faut aussi être titulaire du diplôme du Centre de formation des professions de justice (CFPJ, Ndlr), option commissaire-priseur ou d’un diplôme équivalent (…) Le centre forme actuellement les magistrats, les greffiers. Mais concernant les autres professions, je veux dire les notaires, les huissiers de justice, les commissaires-priseurs, bien qu’il soit également là pour ces trois professions, jusqu’à ce jour, leur département ne fonctionne pas. Or il est exigé à tout postulant d’avoir le diplôme du Centre de formation des professions de justice, option commissaire-priseur (…) Donc en dehors du master en droit, il faut effectivement justifier d’une bonne connaissance en histoire ou en histoire de l’art. Voilà les conditions générales d’accès à la profession…
Quels sont ses rapports avec les autres officiers ministériels ?
Sur le plan personnel, sur le plan relations entre personnes, entre deux chambres, il n’y a pas de problème, les relations sont confraternelles. Mais il y a des couacs. D’ailleurs les huissiers aussi se plaignent que les commissaires-priseurs interviennent dans leur domaine, et vice-versa. Mais d’une manière générale, ca s’aplanit parce que depuis un certain temps, la Chambre des huissiers de justice rencontre périodiquement, lorsqu’il y a des problèmes, la Chambre des commissaires-priseurs. Donc en agissant ainsi, nous arrivons à aplanir nos divergences, et ceux qui ne respectent pas leur attribution sont rappelés à l’ordre.
Avec les avocats, comme ils sont habitués à travailler avec les huissiers, ils sont plus en relation d’affaires avec eux qu’avec les commissaires-priseurs. Il y a un système qu’ils ont à leur niveau, j’ai eu à dénoncer cette façon de faire à des occasions opportunes. Par exemple lors d’une formation tout dernièrement à Kpalimé, j’ai eu à souligner le problème. C’est-à-dire que l’avocat s’entend avec l’huissier qui a procédé à la vente, surtout s’il s’agit d’une grosse affaire, on appelle le commissaire-priseur tout juste pour venir entériner et on lui remet quelques miettes ; eux-mêmes ils se partagent le gros morceau. J’ai eu à dénoncer cela, parce que le commissaire-priseur ne doit pas servir de faire-valoir. Il faut quand même un certain respect pour notre profession. En réalité, il n’y a pas de gros problème en dehors de celui-là soulevé. Il n’y a pas de relations conflictuelles entre les avocats et nous.
Pour ce qui concerne les notaires, il n’y a pas tellement de problème non plus. C’est vrai que nous travaillons avec les notaires souvent quand il s’agit de régler les successions en cas de décès de quelqu’un pour faire le partage aux héritiers. Le notaire désigné par décision judiciaire pour procéder à ce partage a recours le plus souvent au commissaire-priseur qui l’aide à évaluer les biens et à faire le partage équitable. Mais le problème des commissaires-priseurs à ce niveau, c’est qu’on fait un travail, mais on n’est pas payé. On te dit que la succession n’est pas encore réglée, le dossier est au niveau du tribunal ; on a diligenté des actions dans des dossiers aujourd’hui qui durent 10 ans et nous ne sommes toujours pas payés alors que ce sont des millions qui sont là-bas. D’une manière générale, nos relations interprofessionnelles sont des relations empreintes de respect mutuel, de franchise…
Parfois on voit des huissiers de justice procéder à des ventes ? Est-ce une usurpation de prérogatives ou bien ces compétences sont transversales ?
C’est vrai que l’huissier peut procéder à la vente volontaire. Or il n’y a pas assez de ventes volontaires. Et généralement, quand certains huissiers interviennent, c’est dans les ventes judiciaires. Il y a quand même empiétement sur nos domaines. Malgré qu’il leur soit fait interdiction de procéder à des ventes judiciaires, il y a des huissiers malveillants qui continuent de le faire. Il y a également certains magistrats, certains avocats de connivence avec eux. Quand un dossier est prêt pour la vente aux enchères, au lieu de faire appel à un commissaire-priseur, comme le disent les textes, on se réfère plutôt à un huissier. Ils arrangent eux-mêmes les choses (…) J’ai eu même, en tant que président de la Chambre des commissaires-priseurs depuis au moins six (06) ans, à poser des actes. On a assigné des huissiers auprès du juge des référés pour faire annuler certaines ventes ou bien même pour interdire d’autres. On a eu à saisir le Procureur Général près la Cour d’appel qui a eu à intervenir pour empêcher des huissiers de procéder à des ventes judiciaires.
Est-ce que le métier a de l’avenir?
Parler d’avenir de la profession de commissaire-priseur, c’est trop dire. Surtout qu’actuellement, la profession de l’huissier de justice en tant qu’huissier de justice et la profession de commissaire-priseur en tant que commissaire-priseur vont disparaitre. Je précise que ce sont seulement les noms huissier de justice et commissaire-priseur qui vont disparaitre.
Aujourd’hui la tendance, c’est la fusion des deux professions. Nous avons eu à participer à des rencontres à Abidjan, au Burkina et au Bénin tout dernièrement. D’ailleurs en France, il y a cette tendance où on parle de commissaire de justice. C’est la loi Macron qui doit entrer en vigueur en 2022. Avant qu’il ne devienne Président de la République, au niveau de l’Assemblée nationale, il avait proposé une loi pour la fusion des deux professions, loi qui a été adoptée, mais qui n’entrera en vigueur qu’en 2022. Et évidemment, c’est la même chose qui est venue en Afrique occidentale, puisque déjà dans certains pays comme le Mali, cette fusion est aujourd’hui effective. Pour la Côte d’Ivoire, le projet de loi avait été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale, sauf que depuis un an, on n’a plus d’échos, on ne sait pas si le texte a été adopté ou pas. Moi-même j’ai eu à participer à toutes ces rencontres. Il y a d’ailleurs un projet de loi qui va être adopté par la conférence des ministres de l’Economie et des Finances. Mais bien avant, des ministres de la Justice vont discuter ce texte et je suis certain qu’au plus tard d’ici deux ans, pourquoi pas trois ans, il y aura cette fusion. Et le nom prochainement arrêté, c’est commissaire de justice. Ce qui voudra dire que quand on a eu la chance d’être commissaire-priseur, désormais on peut exercer les attributions des deux professions. En même temps que commissaire-priseur, tu peux exercer tout ce que les huissiers font, leur boulot et vice-versa. C’est la tendance qu’il y a.
En tout cas, ce qui est sûr, c’est qu’au plus grand tard dans cinq (05) ans, les deux noms n’existeront plus, ils seront remplacés par le nom de commissaire de justice. Et désormais il n’y aura qu’une seule profession au lieu de deux. Évidemment, c’est peut-être aussi pour la viabilité des deux professions, parce qu’à un moment donné, quand on prend spécialement les commissaires-priseurs, on a l’impression que la profession disparait. Je peux dire avec confiance que oui, la profession a de l’avenir, pas en tant que commissaire-priseur, mais en tant que commissaire de justice.
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