Un marteau en acier inoxydable de près de vingt (20) tonnes, 19,86 tonnes exactement, avec un arbre planté dans son creux appelé œil. Ce n’est pas un objet d’art symbolique ou une représentation graphique. C’est un marteau réel aussi lourd qui accueille tout étranger ou visiteur à l’entrée du village de Yohonou, sis dans le canton de Dzrekpo dans la préfecture de Vo et à une trentaine de kilomètres au Nord de la ville d’Aneho et qui suscite la curiosité. Un ouvrage symbolisant en fait toute l’histoire et l’identité de cette localité, axée autour de la forge traditionnelle. Plongée dans les méandres de ce marteau.
Le marteau ne laisse indifférent aucun étranger (sic) ou visiteur qui a la chance de le voir de près, de par son aspect et sa particularité. Un marteau habituellement est prenable à la main et sert d’outil ; mais impossible de prendre celui-ci. Il faut être un géant du genre de ces personnages mythiques des légendes africaines et doté de force ou pouvoirs mystiques pour parvenir à le soulever. Et pour cause, il pèse 19,86 tonnes. Et dans son creux ou œil, se trouve le tronc d’un arbre y planté depuis plusieurs années et qui occupe tout son espace. Quel sens donc à ce marteau sortant de l’ordinaire ?
Symbole de la forge traditionnelle africaine
« Le Marteau d’Afrique Togo.
Sept têtes de marteau seront forgées et installées à sept endroits différents dans le monde : Afrique, Europe, Amérique du Nord, Amérique du Sud, Australie, Asie et Antarctique. Sept jeunes arbres seront plantés dans l’œil du marteau. Ils grandiront et, dans 200 ans peut-être, chaque marteau aura son manche. L’Œuvre d’Art des Générations est accomplie.
Le marteau d’Afrique est dédié à tous les forgerons du continent africain et a trouvé sa patrie en 2006 en République du Togo. Il a été forgé en 2004 par les usines d’acier inoxydables BRUDERUS en Allemagne selon un modèle de marteau provenant du village de Yohonou au Togo.
Idée et conception : Andreas RIMKUS ; Allemagne.
L’Œuvre d’Art des Générations est sous l’égide de l’UNICEF.
Je tiens à remercier toutes les personnes au Togo et en Allemagne pour leur coopération afin que le Marteau d’Afrique soit érigé ici ».
Ce sont là les informations gravées (en allemand et en français) sur un écriteau rivé sur l’ouvrage. Et ce n’est qu’une partie de l’histoire de ce marteau géant baptisé « Marteau d’Afrique ». Les explications supplémentaires sont fournies par Agbedemegbe Souza, un fils du village, enseignant à la retraite, qui en parle avec un mélange de fierté et de regret.
L’histoire du marteau
Tout a commencé avec un touriste allemand du nom de Rimkus venu au Togo qui demanda qu’on le conduise dans les villages où l’on travaille le fer. C’est ainsi qu’il débarqua à Yohonou, entre autres villages. Emerveillé par le « travail extraordinaire » des forgerons de la localité, il décida de récompenser le village.
A en croire notre interlocuteur susmentionné, il demanda alors au chef du village de désigner un forgeron qui fabrique tout (couteau, coupe-coupe, houe, hache…). Le choix fut alors porté sur un certain Donouvi Koffi qui fut amené en Allemagne en juillet 1986. Là, il fut soumis à un concours auquel étaient conviés en tout trois cent cinquante-sept (357) travailleurs de fer venus de tous les continents, compétition à laquelle il remporta la médaille d’or de l’International Teaching Center for Metal Désign (ITCMD). « Les Allemands étaient émerveillés par le travail de notre frère qui n’avait pour instruments que le soufflet et quelques outils rudimentaires (…) Au retour de Donouvi Koffi, c’était une grande fête dans le village», s’enorgueillit Agbedemegbe Souza, qui nous apprend aussi que sept (07) ressortissants ont été amenés plus tard en 2004 en Allemagne.
A l’issue du concours, il fut décidé de fabriquer sept (07) marteaux géants de 19,86 tonnes chacun à implanter sur tous les continents. Et pour l’Afrique, c’est le village de Yohonou au Togo, 72 km environs au nord-est de Lomé qui a été choisi comme site d’implantation, en récompense du génie dans l’art de la transformation rudimentaire du fer. Malheureusement, nous revient-il, l’Allemand qui menait le projet décéda peu de temps après. Mais c’est son fils qui le ressuscita et le conduit au bout, non sans difficultés. « Pour l’avènement de ce marteau, ce qui s’est passé à Yohonou, c’était difficile », confie l’enseignant à la retraite, évoquant au passage des manœuvres diverses pour détourner le marteau et l’implanter ailleurs…Mais après des tracasseries, il fut érigé à Yohonou et inauguré le 17 avril 2006, en l’absence des autorités politiques…
Selon les informations recueillies, le marteau était accompagné d’un ensemble de projets : électricité, eau, construction d’un orphelinat, musée, etc. « Les Allemands ont envoyé des médecins nous soigner, nous offrir des lunettes gratuitement », avoue Agbedemegbe Souza, et de regretter : « Tous ces projets sont tombés à l’eau ».
Le marteau impressionnant de Yohonou devrait être un site touristique et offrir des sources de revenus au village si son site était bien entretenu. A en croire l’enseignant retraité, il a été entre-temps envisagé l’idée de le clôturer, paver la voie qui y mène et en faire un lieu de visite des étrangers moyennent paiement d’une entrée. Malheureusement, regrette-t-il, le projet n’a pas marché et le marteau est quasiment abandonné dans des herbes et détritus…
La forge, l’identité de Yohonou
Ce marteau géant, loin d’un simple objet d’art décoratif, symbolise en fait l’identité socioculturelle de Yohonou. Le nom même a des liens intrinsèques avec le travail de la forge. A en croire le chef actuel du village, Raphaël Kougblenou Yovo-Agosso 1er, Yohonou a été fondé par un aïeul forgeron du nom de Kankoe, marié à Gbekpoè. La légende raconte qu’il est né avec marteau et pinces dans les mains. Le nom Yohonou est en fait dérivé du travail de la forge pratiqué par le fondateur, et plus tard par les habitants de façon générale.
« Yo », nous revient-il, c’est l’équivalent en éwé local du soufflet, ce dispositif utilisé pour attiser le feu généralement fait de coque de noix de palme. « Yoho, c’est le lieu du travail, l’atelier ou bien la forge (…) Les gens à l’époque, pour aller dans ce village, disaient : je vais à Yoho-nou ; traduit littéralement, ça donne : je vais à l’entrée de la forge de Kankoe. D’où le nom Yohonou attribué au village », témoigne le chef.
La forge est l’activité économique principale des habitants de Yohonou, nous apprend-on. Un tour dans le village permet de rencontrer des adultes, mais aussi des jeunes acharnés à travailler le fer dans des forges pour fabriquer divers instruments. A tout bout de champ, ce sont des bruits de marteau et d’enclume que l’on entend, preuve de la dynamique autour du métier. « On fabrique des couteux, des gongs et plein d’autres outils. Aucun habitant ou fils de ce village ne peut dire qu’il ne sait pas forger, à moins qu’il soit venu d’ailleurs. C’est une initiation qui est assurée dès l’enfance, l’art transmis de génération en génération et ainsi sauvegardé », confie Agbedemegbe Souza.
Avec une population estimée à environ 6 000 habitants, Yohonou est constitué de deux (02) grands quartiers : Gbogamé et Sabakomé et tous ses habitants, ou presque, sont des forgerons. Village des forgerons, ainsi s’entend le nom.