Ils sont estimés à plusieurs dizaines de millions dans le monde, ces enfants dits de la rue. En Afrique, ils seraient environ 30 millions, et plus de 5 000 au Togo. La rue, c’est leur monde, leur famille, leur quotidien. Dans les rues, les marchés, à la plage et à de nombreux endroits de la capitale togolaise et ses périphéries, on peut les identifier souvent en petits groupes et dans des tenues qui laissent à désirer. Ces enfants, abandonnés et rejetés par la société, mènent paisiblement leur vie, dans leur univers. Comment vivent-ils au quotidien et comment perçoivent-ils leur vie ? Pour essayer de comprendre, nous avons approché l’un de ces enfants, en fait une fille.
Akouvi dans l’eau du 4e lac
Un samedi au matin, au bord du quatrième lac, non loin du TP3, adossés au garde-fou installé au bord du lac, Akouvi et ses amis contemplaient les poissons dans l’eau. Habillés en haillons, pour la plupart, ces mineurs étaient en train d’échanger sur les voies et moyens pour attraper beaucoup de poissons. Comme ce groupe, ils sont nombreux, ces enfants, à déambuler aux alentours du TP3 chaque jour pour gagner leur pain quotidien. Ils ont quitté leurs parents et se retrouvent désormais à ces endroits qui les accueillent. Sauve qui peut, c’est la vie qu’ils mènent. Akouvi, âgée de 15 ans, vit là avec son grand frère âgé de 17 ans. Originaires d’Abobo (préfecture du Zio), ces deux enfants ont fui leur père en début d’année 2020 pour Lomé.
Plusieurs raisons poussent les enfants à vivre dans la rue : difficultés de vie et survie des ménages, conflits conjugaux, dislocation de foyer, démission parentale, perte de l’autorité parentale…Akouvi se souvient des circonstances dans lesquelles elle et son frère ont fui leur village natal. « Nous sommes trois enfants de notre maman. Malheureusement, l’autre fille est morte et il ne reste que mon frère et moi. A la mort de notre mère, notre père a épousé une autre femme. C’est le début de notre calvaire. La femme de notre père ne veut pas nous sentir. Et mon père aussi l’a suivie. Les deux nous maltraitaient. Ne pouvant plus supporter la souffrance infligée par mon propre père et sa femme, mon frère et moi avons décidé, un jour, de fuir notre village. C’est comme ça que nous nous sommes retrouvés à Lomé», confie-t-elle.
Arrivés à Lomé, elle et son frère ont élu domicile dans le marché du TP3. La vie, dans la capitale, n’est pas du tout aisée pour eux. Livrés à eux-mêmes, tout comme d’autres enfants de rue, ils sont exposés à toutes sortes de dangers : exploitation économique, esclavage sexuel, maladies, etc. Ils sont obligés de travailler ou mendier pour pouvoir manger. Ainsi, la petite Akouvi se lance dans la plonge dans les restaurants ou chez des ménagères du TP3. Quant à son frère qu’elle dit être un «ganky» (gang), il va chercher son pain quotidien au grand marché de Lomé ou au marché d’Akodesséwa. « Chaque matin, quand je me réveille, je me promène dans le marché non loin du TP3. Des ménagères me sollicitent souvent pour la vaisselle et en contrepartie, elles me donnent de la nourriture. Je vends aussi du «pure water» pour gagner un peu d’argent. Des fois, je collecte de la ferraille que je revends. Parfois, c’est la pêche qui me permet de gagner de l’argent. Je rentre dans l’eau avec la main, j’attrape de petits poissons que je revends. Le peu que je gagne me permet de subvenir à mes petits besoins. Mon frère aussi se débrouille pour la nourriture», nous apprend-t-elle.
Des enfants (de la rue) attrapant des poissons
Des fois, il suffit d’un petit problème pour que deux enfants en viennent aux mains. « Il y a quelques jours (montrant de légères cicatrices), je me suis battue avec un gars parce qu’il ne voulait pas partager les 200 F qu’un monsieur nous a donné. C’est pourquoi j’ai ces petites éraflures sur le visage. Nous ne sommes pas venus pour faire des cadeaux», s’est-elle souvenue.
Selon ses dires, son frère est allé plusieurs fois en prison pour vol et est donc un habitué des maisons carcérales. Akouvi a, elle aussi, fait l’expérience de la vie carcérale. Elle a séjourné pendant un mois à la prison, pour une affaire de vol.
Sans abris, les enfants de la rue ne se soucient guère des notions élémentaires d’hygiène. Ils ne font pas bon ménage avec la propreté. Se laver est une chose rare dans leur monde car, selon Akouvi, «se laver est un luxe» qu’ils ne peuvent pas se permettre facilement.
Quand vient le moment de dormir comme les autres concitoyens, il leur faut faire les pieds et les mains pour se tailler une place où poser sa tête. «Nous n’avons pas d’endroit fixe où nous coucher la nuit. Il faut batailler pour trouver la place. Quand tu en trouves, il suffit d’avoir des cartons posés sur le sol entourés de sac de plastique sous la table d’une commerçante. Des fois, nous attendons que les bars et les boutiques ferment pour nous frayer des couchettes», témoigne-t-elle.
Consciente du jugement des autres sur elle et son frère, Akouvi ne se décourage pas et croit à la venue du « bon samaritain » qui les tirerait, elle et son frère, de cette situation. Elle se dit parfois découragée. Malgré tout, elle ne perd pas espoir, même si l’horizon semble ne pas s’éclaircir.
Jules Le Joyeux