Dans un rapport établi sur l’Afrique de l’ouest (juin 2020), le centre Afrikajom passe en revue la démocratie et la bonne gouvernance dans tous ses Etats. Ce think thank créé en 2018 par des femmes et des hommes de bonnes volontés d’horizons divers, sur initiative de son fondateur défenseur des droits de l’Homme Alioune TINE, épingle le Togo, présenté comme un mauvais exemple qui exerce une influence négative sur tout le continent africain. Ci-dessous la partie du rapport global concernant le pays et titrée « L’impossible alternance démocratique au Togo : le spectre de la présidence à vie ».
« 7. Le syndrome togolais de 2005 : les tendances lourdes au troisième mandat et l’éternité au pouvoir
L’élection présidentielle chaotique de 2005 au Togo
L’élection présidentielle de 2005 au Togo suite au décès du président Gnassingbé Eyadéma le 5 février de la même année, a été un modèle absolu de fraudes électorales manifestes et grossières pour se maintenir au pouvoir.
La présidentielle togolaise de 2005 fonctionnait comme un test sur les méthodes qui permettaient de se maintenir au pouvoir éternellement, par la fraude électorale, par l’instrumentalisation des organes de régulation et d’arbitrage des élections, l’utilisation de la justice pour écarter tous les adversaires dangereux et enfin compter sur des forces de défense et de sécurité fidèles et loyales à toutes épreuves.
Le test togolais a réussi en 2005 grâce au soutien et à la connivence de certains chefs d’État qui entendaient tirer les leçons de la présidentielle togolaise pour eux aussi rester au pouvoir. Ce sera le début des régressions démocratiques favorisées par le contexte mondial de lutte contre le terrorisme, la montée du populisme et des idéologies de haine en Europe et en Amérique du Nord. Le succès du test togolais et le changement intervenu dans les relations internationales ont été les sources profondes de la naissance et de la consolidation de la possibilité du troisième mandat, véritable poison de la démocratie et de l’État de droit sur le continent.
Le premier clash qui s’est produit entre le Président de l’Union Africaine, Olusegun OBASANJO, et le Président de la Commission de l’Union Africaine, l’ancien président du Mali Alpha Oumar KONARÉ, portait sur les divergences profondes sur l’appréciation de la présidentielle togolaise de 2005. En effet, la CEDEAO validait l’élection du président togolais Faure EYADEMA alors que la présidence de l’UA s’y opposait du fait des fraudes massives notées par toute la communauté internationale.
Ces divergences profondes entre la Commission de l’UA et les chefs d’État de la CEDEAO constituent un véritable basculement historique, politique et démocratique qui va affecter négativement et durablement la régulation régionale des conflits politiques et démocratiques.
A partir de ce moment, l’UA va se priver de l’autorité des anciens chefs d’État africains ayant suffisamment de légitimité pour dénoncer les dérives de la démocratie et de l’État de droit, comme Alpha Oumar KONARÉ, qui est le premier et le dernier ancien chef d’État, à être le Président de la Commission de l’UA.
Depuis le départ d’Alpha Oumar KONARE, l’autorité de la Commission de l’UA et sa capacité à réguler et arbitrer les conflits politiques et armés en Afrique ont été considérablement affaiblies.
Le président Alpha Oumar KONARÉ avait créé une commission d’enquête sur l’élection présidentielle au Togo, que devait diriger le Président Kenneth KAUNDA pour faire toute la lumière sur l’élection. Olusegun OBANSANJO rejeta violemment cette commission, par voie de presse déclarant qu’elle était nulle et de nul effet.
Ce rejet brutal et sans ménagement par voie de presse de la commission d’enquête n’était nullement le fruit du hasard. Le Président nigérian lui-même était très intéressé par le test togolais, il voulait lui aussi changer la constitution pour avoir un troisième mandat rejeté par les Nigérians. Olusegun OBASANJO n’avait pas à l’époque hésité à mettre en prison son vice-président ATIKU Abubakar qui s’opposait catégoriquement à ce troisième mandat.
Toute la communauté internationale avait condamné les élections frauduleuses du Togo.
À l’époque, les élections étaient supervisées par le Président nigérien Mamadou TANDJA, qui était le président en exercice de la CEDEAO et proche ami du Président Gnassingbé EYADÉMA.
C’est peu de dire que Mamadou TANDJA lui-même a été inspiré par le Togo quand il a voulu changer la constitution pour faire un troisième mandat avec la « Tazarché », en 2008 et 2009. Les conséquences furent catastrophiques, avec la dissolution de la Cour constitutionnelle et de l’Assemblée nationale du Niger, suivies d’un coup d’État militaire qui au final eut raison de son règne.
Ces élections togolaises furent aussi très contestées par la société civile et suscitèrent une vague d’indignations auprès de l’opinion internationale, du fait de la grossièreté de la fraude électorale symbolisée par l’image d’un militaire fuyant avec l’urne et faisant le tour du monde.
Sans compter les violences pré et post électorales ayant fait des dizaines de morts et de blessés mais aussi de nombreuses tortures et détentions arbitraires.
A ce jour, le syndrome togolais n’arrête pas de hanter le continent africain qui doit absolument trouver aujourd’hui en lui-même les ressorts profonds de son éradication pour la survie de la démocratie, de l’État de droit et des droits humains ».
« L’impossible alternance démocratique au Togo : le spectre de la présidence à vie
- Situation de la démocratie
Processus électoraux qui se succèdent et se ressemblent
La trajectoire politique et démocratique de cet Etat francophone d’Afrique de l’Ouest est tout à fait inédite et intéressante par l’influence négative que le Togo exerce pratiquement sur l’ensemble du continent africain. C’est le Togo qui a inauguré les formes les plus brutales et les plus violentes de la succession au pouvoir et c’est le Togo qui a également inventé les nouvelles formes de pathologies démocratiques avec l’instrumentalisation des institutions publiques, de la Constitution, les fraudes électorales et toute une panoplie de ruses pour s’éterniser au pouvoir. C’est ce que nous appelons ici le syndrome togolais dont le continent africain doit se guérir.
C’est au Togo, où se produit le premier coup d’état militaire de l’Afrique francophone qui s’est tragiquement terminé avec l’assassinat du Président Sylvanus OLYMPIO le 13 janvier 1963.
Cet exemple totalement négatif sera plus tard suivi par d’autres Etats africains.
S’en est suivie une dictature militaire implacable, répressive et violente, la mise en place d’un Etat familial, népotiste, clanique et la création d’une polarisation politique ethno-régionale que le pays a encore du mal à solder.
En 1992, sous la pression des transitions démocratiques en Afrique et suite à une crise politique sérieuse, le Togo va adopter par référendum une des constitutions les plus libérales de son histoire politique avec la limitation du mandat présidentiel à deux comme le prévoit l’article 59 de la Constitution : « Le président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats.
En 2002, la loi n° 2002-029 du 31 décembre 2002 modifie l’article 59 et fait sauter le verrou de la limitation des mandats : « Le président de la République est élu au suffrage universel direct et secret pour un mandat de cinq ans. Il est rééligible… »
Le Togo est l’un des premiers pays de l’Afrique de l’Ouest, à faire sauter le verrou de la limitation de mandats les transitions démocratiques et à installer l’instabilité politique et l’insécurité constitutionnelle.
Les modifications de la nouvelle Constitution avec la baisse de l’âge de l’éligibilité, qui passe de 45 à 35 ans, préparaient déjà la succession au pouvoir par le fils.
Le Togo met ainsi en place avec l’instrumentalisation de la Constitution, des institutions de la République et la fraude électorale un système qui permet à la famille de s’éterniser au pouvoir.
L’élection présidentielle de 2005 va également servir d’exemple à plusieurs pays africains qui ne vont plus hésiter à s’affranchir des contraintes constitutionnelles de la limitation de mandats pour conserver le pouvoir par tous les moyens, ouvrant ainsi l’ère pour certains pays de la succession monarchique.
Au terme de plusieurs crises et conflits politiques, liés aux confrontations récurrentes entre le pouvoir, l’opposition et les organisations de la société civile derrière le mouvement citoyen « Sauvons le Togo », et face à la répression violente des manifestations de masse et les risques d’escalade, une médiation de Présidents de la sous-région a abouti à une révision Constitutionnelle en 2019 par référendum restaurant la limitation de mandats à deux : article 59 « Le Président de la République est élu au suffrage universel, libre, direct, égal et secret pour un mandat de cinq (05) ans renouvelable une seule fois. Cette disposition ne peut être modifiée que par voie référendaire… »
2020, la continuité des mêmes méthodes et des mêmes ruses dans l’indifférence ou avec la complicité des partenaires
La reconnaissance des deux tours de l’élection présidentielle qui confère plus de légitimité à la présidentielle et rassure l’opposition ne change pas grand-chose car cette fois-ci tout s’est joué dès le premier tour de la présidentielle.
Au terme du scrutin de la présidentielle de 2020, le Président Faure GNASSINGBÉ est élu sans grande surprise avec 72,36% des voix, suivi de l’ancien Premier ministre Agbéyomé KODJO qui récolte seulement 18,37% des suffrages et du chef de l’opposition Jean-Pierre FABRE qui obtient 4,35% des voix.
Le taux de participation de cette élection très contesté par l’opposition est de 76,63 % et a connu une légère hausse par rapport à celle de 2015 qui était de 60,99%.
Toutefois, des irrégularités ont été constatées durant ce scrutin, ce qui confirme le recul démocratique et la crise de la gouvernance au Togo depuis quelques années.
En effet, la société civile a recensé des bourrages d’urnes et des inversions de résultats principalement à Lomé et à Vogan.
Des délégués de l’opposition se sont également vu refuser les accès dans certains bureaux de vote et l’internet a été coupé par intermittence dans la capitale ou totalement dans certaines régions sensibles comme Sokodé dans le Nord aux alentours de 18h. D’autres incidents comme le retrait d’accréditation de nombreux observateurs de l’église et de la société civile ainsi que l’abandon du système de sécurisation électronique des résultats quelques jours avant le vote, ont aussi été signalés.
Des manœuvres d’intimidation et de harcèlement judiciaire ont été notées à l’endroit de l’opposant Agbéyomé KODJO :
› Domicile encerclé par les forces de sécurité quelques heures après la fermeture des bureaux de vote ;
› Audition par une commission parlementaire spéciale ;
› Levée de son immunité parlementaire le 16 Mars 2020 à la demande du procureur du tribunal de Lomé pour troubles aggravés à l’ordre public, dénonciations calomnieuses, usage illégal des symboles et emblèmes de l’État, appel au soulèvement de l’armée et atteinte à la sécurité intérieure de l’État.
L’Alliance Nationale pour le Changement (ANC) a également affirmé que ses responsables politiques ont été victimes de coupures téléphoniques les empêchant de communiquer avec leurs délégués dans les bureaux de vote. Mais le plus étonnant dans tout cela, est la rapidité de la proclamation des résultats car pour la première fois au Togo, les résultats sont annoncés à peine 24h après le vote.
Cependant la confusion règne toujours autour du scrutin dans la mesure où la frustration de connaître le vainqueur légitime des élections demeure toujours en Afrique, particulièrement au Togo.
En effet, quelques heures avant l’annonce des résultats officiels, l’outsider de l’opposition Agbéyomé KODJO s’était déjà autoproclamé président démocratiquement élu. Par la suite, il a dénoncé de nombreuses fraudes ayant émaillé le scrutin et affirme que le vote a été un véritable « tsunami » en sa faveur.
- Situation des droits humains
Cette crise a fait une vingtaine de morts, des centaines de blessés et d’importants dégâts matériels. Depuis cette période, des villes comme Bafilo, Sokodé, Kpalimé, Lomé (Zongo) font l’objet d’occupation par les forces de défense et de sécurité afin d’empêcher toute manifestation publique des partisans du Parti National Panafricain (PNP) de Tikpi ATCHADAM exilé dans un pays de la sous-région. La médiation de la CEDEAO a certes contribué à apaiser la crise, mais l’opposition en est sortie fragilisée et plus divisée. C’est la raison pour laquelle tout porte à croire que l’on se dirige vers des élections instrumentalisées au profit de Faure GNASSINGBÉ et de son parti politique UNIR et ses alliés, si les conditions de transparence ne sont pas réunies pour ce énième scrutin présidentiel.
- Situation sécuritaire
Cette soif d’alternance des togolais a de grands risques de faire basculer le pays dans la violence renforcée par les menaces terroristes provenant du nord du pays. Cependant, le pouvoir n’a pas cédé et en mai 2019, les députés ont voté une révision constitutionnelle qui permet non seulement au président Gnassingbé de se représenter en 2020 et 2025, mais aussi de bénéficier d’une immunité à vie pour les actes posés pendant les mandats présidentiels. Dès le 15 Janvier, le front citoyen Togo-Debout et plusieurs organisations de la société civile togolaise ont dénoncé les irrégularités qui entouraient le processus électoral devant conduire à l’élection le 22 Février 2020 du président de la République.
Même s’il peut se targuer d’être l’un des rares pays africains à ne pas connaître de dévolution anticonstitutionnelle du pouvoir hormis l’épisode rocambolesque de 2005, le Togo présente aussi la triste étiquette de n’avoir jamais connu d’alternance démocratique. Après avoir succédé à son père GNASSINGBÉ Eyadema en 2005, Faure GNASSINGBÉ, 53 ans, réélu en 2010 et 2015, à l’époque dans un scrutin à tour unique, reste le grand favori à la victoire finale. Il briguera son quatrième mandat à la suite de la modification de la Constitution, qui introduit une limitation à deux mandats non rétroactifs. Tout porte à croire que l’heure ne sera pas à l’alternance. Après le coup d’Etat d’Avril 1967, la dynastie Gnassingbé est toujours au pouvoir. Le pays a connu 2 coups d’Etat en 1963 et en 1967 dans son histoire politique.
- Recommandations
AFRIKAJOM Center recommande au gouvernement togolais de :
› Respecter la limitation de mandat ;
› Organiser des élections libres et transparentes ;
› Promouvoir le respect des droits de l’homme et des libertés individuelles ;
› Respecter la liberté d’expression et de manifestation ;
› Renforcer la sécurité des frontières face à la menace constante des attaques djihadistes ».