Elle a eu gain de cause à la justice où aussi bien la Cour d’appel que la Cour suprême ont confirmé son droit de propriété sur les 93 hectares environ, dans le litige foncier l’opposant, depuis des lustres, à la fratrie parente des Avoussou. Mais elle fait face à un nouveau front, celui des « acquéreurs indélicats », de « mauvaise foi » ou « prédateurs fonciers ». La Collectivité Masseme – c’est d’elle qu’il s’agit – a haussé le ton vendredi dernier face à cette nouveauté dans son long combat pour la récupération de ses terres.
« La lutte n’est plus au niveau de la justice, elle est maintenant contre les prédateurs fonciers ». Ses détracteurs et de la Collectivité Masseme en général l’accusent, à tort ou à raison, d’avoir usé de son influence pour faire plancher la balance de leur côté dans ce litige. Mais Alphonse Kokouvi Masseme est formel, le bras de fer avec la Collectivité Avoussou autour de la propriété du domaine querellé à Akato-Avoèmé est terminé avec la confirmation du verdict de la Cour d’appel par la Cour suprême en date par sa décision du 15 octobre 2020, point n’est besoin de revenir en arrière. « Moi j’ai quitté le Togo depuis 33 ans. Je ne suis personne, sinon un petit historien…Quelle influence j’ai pu avoir pour que la justice se mette à mes bottes ? », a d’ailleurs rétorqué l’ancien ministre de l’Intérieur et de la Sécurité dans le gouvernement de Joseph Kokou Koffigoh. Mais comment jouir de cette victoire judiciaire ? Voilà la nouvelle équation.
Qui sont alors ces « prédateurs fonciers », « spéculateurs fonciers » ou « acquéreurs indélicats » ainsi caricaturés ? Il s’agit des prétendus acquéreurs de terrain sortant de nulle part et réclamant l’achat, plusieurs années auparavant, de vastes parcelles dans le domaine des Masseme à des coûts dérisoires et à la limite ridicules. Des opérations d’acquisition qui ne sont pas reconnues par les vendeurs désignés, mais qu’on tente d’imposer aujourd’hui à la Collectivité. Les fameux acheteurs ont réussi, dans certains cas, à se faire établir un titre foncier ou autre document administratif équivalent affirmant leur droit de propriété sur ces terrains. Le cas le plus illustratif, c’est celui d’un certain Abah Koba Kwami qui se réclame acquéreur, depuis les années 2002, à Aflao-Akato au lieudit Zogbe, d’une superficie totale de 18 ha 85 a 86 ca dans le domaine des Masseme (environ 93 ha en tout) à un coût total de cinq millions cinq cent quinze mille (5 515 000) FCFA, soit à peine 18 000 FCFA le lot de terrain. Incroyable, quand on sait que le lot dans la zone coûte aujourd’hui au bas mot dix millions (10 000 000) FCFA.
Sur ce cas typique, la Collectivité Masseme a fourni une documentation et d’amples éléments qui permettent de nourrir la religion de tout un chacun. Selon les explications de l’un des mandataires de l’époque, Masseme Dandemon, Abah Koba Kwami n’a jamais acheté cette superficie de terrain réclamée. Il aurait en réalité fait juste un financement à la Succession Masseme pour soutenir la procédure judiciaire dans le litige l’opposant, depuis trois décennies, à la Collectivité Avoussou. A en croire les chiffres égrainés par Masseme Dandemon, M. Abah n’aurait remis en tout et pour tout qu’un montant d’un million six cent mille (1 600 000) FCFA, soit successivement un million (1 000 000) FCFA, deux cent mille (200 000) FCFA, trois cent mille (300 000) FCFA et cent mille (100 000) FCFA.
Sur les copies des reçus fournies à l’appréciation de la presse, on retrouve des montants pêle-mêle, sans précision en tout cas d’achat et/ou d’indication de la superficie de terrain équivalente à ces sommes. Un nom revient souvent comme vendeur : Masseme Anani, le doyen de la famille. Devant les journalistes vendredi, ce dernier a nié toute vente de terrain à M. Abah et, qui plus est, d’une telle superficie de terrain (18 ha 85 a 86 ca) et à un tel montant. En clair, les dignitaires de la Collectivité Masseme et prétendus vendeurs ne reconnaissent pas lui avoir vendu une si grande surface de terrain et même délivré des documents idoines. Mais alors comment Abah Koba Kwami a-t-il bien pu s’y prendre pour se faire établir un certificat administratif et même un titre foncier ?
La question se pose avec légitimité d’autant plus que selon les dispositions régissant les procédures foncières au Togo, la délivrance de ces titres de propriété (certificat administratif à la Préfecture et titre foncier aujourd’hui à l’OTR, Office togolais des recettes) est conditionnée à la présentation de documents originaux de vente signés des personnes habilitées et de leurs témoignages attestant de l’opération. Dans le cas présent, la Collectivité Masseme ne reconnait pas avoir vendu et délivré de documents dans ce sens à Abah Koba Kwami, et en plus conteste la superficie prétendument acquise. Ce sont ce certificat administratif daté du 3 octobre 2003, et dernièrement le titre foncier signé en date du 2 décembre 2021, qui sont venus lui apprendre même la superficie que réclame Abah Koba Kwami. Cocasse.
Habituellement, avant l’établissement de ces documents de propriété, il est effectué une enquête publique pour vérifier la véracité et la légalité de l’opération de vente au cours de laquelle les propriétaires, acquéreurs, limitrophes et même autorités coutumières sont interrogés. Mais dans la présente procédure, les Masseme disent n’avoir pas été convoqués à ces fins, comme l’exigent les convenances. Bien plus, le nom de Masseme Dandemon, qui ne reconnait nullement de vente de terrain d’une telle surface à Abah Koba Kwami, se retrouve sur la liste des personnes interrogées. Les Masseme ne sont pas au bout de leurs surprises puisqu’ils découvriront que le sieur Abah Koba Kwami s’est fait même établir un titre foncier – nous taisons sciemment le numéro – en date du 2 décembre 2021.
« Le certificat administratif a été établi sur la base de quel témoignage ? Personne n’est jamais venu faire des enquêtes. Comment ils se sont pris pour obtenir ces documents ? Les prétendus vendeurs ne reconnaissent pas avoir vendu», a pesté Alphonse Kokouvi Masseme, et d’ajouter : « Il y a des arrangements qui ont été faits sur le dos de la Collectivité. Ils ont trompé nos frères! ». Face à ce qui apparait comme un dol, l’ex-ministre du gouvernement de Transition au Togo exilé au Ghana se pose alors la question de la validité du certificat administratif et du titre foncier obtenus. Si le titre foncier est a priori inattaquable, la loi n°2018-005 du 14 juin 2018 portant code foncier et domanial précise qu’il peut être remis en cause en cas d’obtention à l’aide de fraudes. « Le titre foncier est définitif, intangible et inattaquable, sauf en cas de fraude ou d’erreur (…) », indique l’article 256. Le suivant précise : « La fraude s’entend de toute manœuvre tendant à faire immatriculer en cours d’instance un immeuble objet de contestation soit devant l’autorité administrative, soit devant les juridictions ». La procédure ayant entouré l’obtention des différents documents susévoqués suinte de la loucherie à ciel ouvert. Il est constant que le litige à Akato-Avoemé au lieudit Massemekope date de trois décennies, et certainement pendant tout ce temps, des gens auraient profité pour se faire établir des documents, dans des conditions obscures. Par rapport aux dispositions ci-dessus rappelées, l’Etat est appelé à apprécier.
Il n’est pas superfétatoire de rappeler que la superficie de 18 ha 85 a 86 ca réclamée par Abah Koba Kwami représente le quart de tout le domaine des Masseme. L’autre cocasserie, c’est le fait que ce ne soit pas lui-même qui le fasse puisqu’il serait décédé en octobre 2021. C’est en tout cas ce qu’il a été donné à la Collectivité de savoir lorsqu’elle a essayé de voir les tenants et aboutissants de cette affaire. Ce ne sont pas ses ayants-droits, du moins ses enfants qui agissent aujourd’hui, mais des quidams sans lien de parenté ostentatoire avec M. Abah, qui semblent le faire. En tête de ce groupe, la Collectivité Masseme cite un certain Dovi – c’est la seule identité qu’elle lui connait. Toutes ses questions et/ou démarches pour en savoir davantage et sur ses liens de parenté avec M. Abah se sont révélées vaines. Mais c’est ce Dovi, en collaboration avec un certain Kossivi, qui agiraient au nom d’Abah Koba Kwami. Selon les informations, c’est aussi Dovi qui est au centre de toutes les tensions dans la zone avec des ordres de déguerpissement tous azimuts et autres voies de fait, des prises de soit-transmis pour arrêter les jeunes de la Collectivité Masseme qui se mettraient au travers de leur chemin…Il nous revient par exemple que jeudi dernier, le sieur aurait débarqué avec un grader pour tracer des voies dans des parcelles de certains acquéreurs dans le domaine et aurait signifié une assignation en déguerpissement à d’autres.
Tout renforce la thèse de prédation des terres de sa Collectivité dénoncée par Alphonse Kokou Masseme. Le cas Abah n’est qu’un parmi tant d’autres. C’est l’exemple d’une dame qui dit avoir acquis 7 ha dans le domaine des Masseme à un montant d’un 1 000 000 FCFA, soit un lot acheté à… 8500 FCFA à peine. Ou de cet acquéreur qui dit avoir acheté 12 lots à 3 millions FCFA. Ou encore de cet autre qui réclame l’achat de 12 lots de terrain à 830 000 FCFA et qui a même obtenu un titre foncier là-dessus. Un autre exemple, l’achat de 40 lots à 5 millions FCFA. « Ce sont les prédateurs fonciers qui alimentent les conflits fonciers », a réitéré M. Kokouvi Masseme, révolté du fait que la justice ait rendu son verdict dans son bras de fer avec les Avoussou, mais des individus empêchent sa collectivité de jouir de ses biens. Qu’à cela ne tienne, ils ne sont pas prêts à lâcher le morceau ; bien au contraire, ils se disent prêts à défendre leur bien quoi que cela leur coûte. « On va résister jusqu’à la dernière goutte de notre sang », a promis l’ex-ministre devenu non-voyant et reconverti dans l’agriculture, et de lancer cet appel : « Propriétaires fonciers de tout le Togo, unissez-vous contre les spéculateurs fonciers ».