Au Togo, on peut se voir donner raison par la justice, mais ne jamais parvenir à jouir de cette décision favorable et même être l’objet de persécutions de la part des vaincus et leurs soutiens. C’est ce que vivent les membres de la Collectivité Massémé. Malgré le verdict de la Cour suprême en date du 15 octobre 2020 confirmant son droit de propriété sur les 93 ha environ à Akato-Avoèmé au lieudit Massémékopé disputés avec les Avoussou et compagnie, elle connaît des tribulations de toutes sortes de la part d’une « mafia » dont les commanditaires sont manifestement à tous les niveaux, aussi bien civils que militaires, et tirent les ficelles dans l’ombre. Entre convocations devant une certaine commission anti-terroriste, arrestations de membres dans une affaire cocasse, descente de corps habillés sur le terrain aux fins d’intimidation…la Collectivité vit un supplice.
« Les grands litiges à Akato sont entretenus par des spéculateurs fonciers, je parlerai plutôt de pirates et même de terroristes fonciers (…) Des hommes en tenue viennent nous terroriser sur le terrain (…) tout ça là pour nous démobiliser, nous faire peur et nous pousser à fuir (…) Il y a un groupe de mafia derrière cette affaire ». Alphonse Kokouvi Massémé, l’ancien ministre de l’Intérieur au Togo exilé depuis une trentaine d’années, et les membres de sa Collectivité rencontrés ce mardi, ne décolèrent pas. A raison lorsqu’on considère l’ampleur industrielle du faux utilisé par les prétendus acquéreurs et découvert au fur et à mesure et les derniers développements dans ce dossier illustratif du drame foncier au Togo qui révèlent les intrigues et enjeux de cette affaire…
Industrie du faux
Dans un précédent article, nous relevions qu’après sa victoire judiciaire sur sa concurrente des Avoussou et leurs soutiens, la Collectivité Massémé était désormais face à des spéculateurs fonciers, entendu de pseudos-acquéreurs de terrains dans leur domaine, parfois de très vastes et des hectares à des montants ridicules et qui, pour beaucoup, sont même parvenus à se faire établir des titres fonciers en usant du faux et certainement de la corruption. Un cas particulièrement illustrait la chose : celui d’un certain Abah Koba Kwami.
En effet, M. Abah – il serait décédé en octobre 2021 – prétend avoir acquis en tout 18 ha, 85 a 86 ca de terrain, environ 300 lots, auprès de la Collectivité Massémé à la modique somme de 5 515 000 FCFA, soit à peine 18 000 FCFA le lot – le lot aujourd’hui dans la zone coûte entre 10 et 12 millions FCFA. Ce que la Collectivité ne reconnait point. Si elle avoue avoir eu recours à ses services et son soutien pour financer la procédure judiciaire entre les Avoussou et compagnie et elle, la fratrie nie lui avoir vendu autant de superficie de terrain à un tel montant. Les Massémé ne sont pas seuls à contester, les Srabi dont l’un des membres – Srabi Agbedemegbe Koffi – était de la sorte susmentionnée contestent aussi la propriété du fameux Abah.
Le faux et le flou dans ce dossier crèvent les yeux. L’une des nombreuses cocasseries, c’est la postériorité des dates sur certains reçus de vente devant servir de base à l’obtention du certificat administratif signé le 5 septembre 2003. « On a prétendument fait signer un reçu de vente unique à 4 collectivités rivales et donné un titre foncier », déplore Alphonse Kokouvi Massémé, et de pester : « Comment l’OTR aussi peut délivrer un titre foncier sur des bases aussi fausses ? ». A en croire les confidences, certains membres de la Collectivité ont été même sollicités dans les coulisses par les usurpateurs afin de leur délivrer des reçus et autres documents à faire valoir au cours de la procédure, contre évidemment intéressement.
La question de l’ex-ministre se pose avec davantage de légitimité, lorsqu’on sait que dans ce litige à Akato-Avoèmé, la Collectivité Massémé a introduit, depuis 2019, comme le lui permet la loi, une opposition à immatriculation dans son domaine et donc la suspension de toute signature de titre foncier avant le verdict final, document déposé au Cadastre et à l’Office togolais des recettes (OTR). Mais visiblement, ces services ont passé outre et il a été délivré – à titre posthume- un titre foncier à Abah Koba Koami en date du 2 décembre 2021. L’autre cocasserie, c’est de savoir que celui qui dit agir en son nom, un certain Dovi Adjaho, on ne lui connait aucun lien de parenté avec M. Abah qui constituerait donc une raison ou un intérêt à agir.
Bien d’autres cas illustrent la prédation des terres de la Collectivité Massémé. « Il y a des titres fonciers faux que nous avons découverts », informe Alphonse Kokouvi Massémé, converti dans l’agriculture au Ghana. On évoque l’exemple d’un certain Kodjo Pedanou, qui prétend avoir acquis auprès d’un vendeur (de la Collectivité) 15 lots de terrain à la modique somme 800 000 F et aurait aussi réussi à avoir un titre foncier qualifié de faux par les Massémé. Plusieurs autres procédures suivraient leur cours et les titres fonciers en instance de création. La Collectivité ne compte pas se laisser faire et veut faire annuler tous ces titres, conformément à l’article 256 de la loi n°2018-005 du 14 juin 2018 portant code foncier et domanial, et les muter tous en son nom.
Convocations devant une Commission anti-terroriste
« Les affaires de terrain sont passées de la justice au bureau du ministre de la Sécurité. C’est très préoccupant pour nous, on ne sait pas ce que demain nous réserve ». Ces propos de l’ancien membre du gouvernement de Transition au Togo attestent des manœuvres et circuits dans les tous sens dans ce dossier de litige à Massémékopé et les tribulations subies par les membres de la Collectivité.
Avec le verdict de la Cour suprême confirmant ses droits de propriété sur les 93 ha environ de terrain à Akato-Avoèmé, après celle aussi favorable de la Cour d’appel et partiellement du Tribunal de Première Instance, la Collectivité Massémé devrait croire s’être défaite de ses détracteurs et avoir enfin l’opportunité de jouir tranquillement de ses biens. Et elle devrait logiquement avoir la justice à ses côtés pour la défendre contre les prédateurs de ses terres. Mais c’est tout le contraire qui se passe. La justice et tout ce qu’il y a comme autorité compétente semblent plutôt prendre le parti des « pirates » fonciers et se liguer contre elle. Tantôt c’est chez le chef canton qu’elle est trimballée par des acquéreurs ou autres acteurs de ce litige, tantôt c’est dans les bureaux du maire, tantôt ceux du Préfet, et la dernière, c‘est au ministère de la Sécurité et de la Protection civile. Et l’argument massue ou le chef d’accusation, c’est la violence.
En effet, ces derniers temps, des membres de la Collectivité ont été convoqués, non pas à la Gendarmerie ou à la Police, mais au ministère de la Sécurité et de la Protection civile. Ils s’y sont rendus quatre fois de suite et se sont retrouvés devant une certaine Commission antiterroriste censée traiter des actes ayant trait au terrorisme. Quel acte de terrorisme ont-ils pu commettre pour se retrouver là ? RAS, rien à signaler. Le plus cocasse, l’ex-ministre Alphonse Kokouvi Massémé, qui est en exil depuis une trentaine d’années et est devenu non-voyant et dont les tentatives de retour au pays entreprises par la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR) de Mgr Nicodème Barrigah et le Haut-commissariat à la réconciliation et au renforcement de l’unité nationale (HCRRUN) de Mme Awa Nana-Daboya ont achoppé sur certains détails, a été aussi convoqué dans cette affaire…
Au ministère de la Sécurité, les membres de la Collectivité se sont entendu dire que c’est sur plainte pour violences, groupements de malfaiteurs qu’ils ont été convoqués. Et ce qu’on met dans violences, ce sont les réactions (sic) naturelles des jeunes membres de la fratrie aux descentes sur le terrain des quidams à la solde d’acquéreurs de mauvaise foi pour casser des murs, enlever des tôles et des portails, emporter des briques, déloger des propriétaires ou occupants de leurs maisons, violenter…Lorsqu’on sait l’étiquette qui a toujours été collée par Lomé au nom Massémé et généralement aux populations frontalières du Ghana depuis la nuit des temps, on a vite fait de déceler les manœuvres ou soupçons pour les couvrir de manteaux de terroristes et ainsi les coffrer, du moins les frapper au moral.
« Si nous n’avions pas répondu présents, ils pourraient par exemple lancer un mandat d’arrêt contre nous », fait observer l’ex-ministre, et de souligner : « Nous ne sommes pas des gens violents, comme on nous a toujours stigmatisés. Nous ne voulons pas qu’on nous colle cette étiquette. Nous sommes des gens pacifiques (…) Etant légalistes, nous avons porté l’affaire devant la justice ». « Parfois après les convocations, les gens nous contactent et nous disent que demain, les militaires vont descendre, il faut fuir. En fait, c’est ce qu’ils veulent, nous voir fuir et ainsi accaparer nos terres et en profiter à leur guise », confie-t-il. Ceci pourrait donc expliquer cela.
Deux Massémé jetés en prison
Massémékopé, 8 novembre 2022. Un jeune homme du nom de Tchèvi, présenté comme un sbire de Dovi Adjaho, celui-là même qui agirait au nom d’Abah Koba Kwami, monte sur le toit de la maison d’une dame et enlève des tôles. Pris en flagrant délit de vol et arrêté par les riverains, il est conduit au Commissariat de Wougome, sur conseil du chef coutumier local Togbui Alin. A la tête du groupe des riverains, se trouvait Massémé Komi Double, le Président du Comité de développement du village (CVD). Au Commissariat, il lui est demandé de revenir le lendemain faire sa déposition.
Ne se reprochant rien, il revient effectivement le 9 novembre pour ce faire, cette fois-ci en compagnie d’un autre frère, Massémé Komi Kalenpé, témoin aussi de la scène d’enlèvement/vol des tôles sur la maison. Mais ils retrouvent sur les lieux le fameux Dovi Adjaho. A en croire le récit des faits, ce dernier aurait indemnisé (sic) la dame et son protégé de voleur de tôle serait libéré. Mais les deux Massémé seront au contraire gardés, sur instigation de Dovi qui prétendrait avoir des soit-transmis contre les Massémé et accuserait les deux jeunes hommes de violences et d’incendie d’une maison il y a quelque temps. Comme de la blague, ils ont été transférés à la Gendarmerie de Sagbado et déférés depuis un mois à la prison civile de Lomé où ils croupissent.
En fin de semaine dernière, nous est-il revenu au cours de la rencontre, le fameux Dovi Adjaho aurait contacté un membre de la Collectivité Massémé pour proposer de discuter chez le chef canton d’Aflao Sagbado, chef Semekonawo, les conditions de la libération des deux membres jetés en prison, sur conseil de « grands quelqu’un ». En clair, il veut marchander leur libération. Toute chose qui sonne aux yeux de la Collectivité comme un chantage et apporte, si besoin en était encore, la preuve de la fragilité des accusations et du caractère factice de ce dossier. « Nous trouvons ça comme un chantage. Vous arrêtez nos membres, vous en faites un trophée. C’est comme une prise d’otage », peste l’ancien ministre du gouvernement de Transition, dénonçant un « montage ».
Dans le rang de la Collectivité Massémé, on n’entend pour rien au monde négocier contre quoi que ce soit la libération des deux membres. Ce sont d’ailleurs les nièmes de la fratrie à être jetés en prison dans ce litige à Akato-Avoèmé qui date d’une trentaine d’années. Et cet épisode convainc plus que jamais de manœuvres de ses détracteurs pour les faire fuir, les intimider et réduire au silence. Tout porte à croire à une bande bien organisée aux ramifications insoupçonnées. Parlant d’intimidations, ce mardi-là même et la veille, des hommes en tenue étaient aperçus sur le terrain sommant des propriétaires de maisons de démolir les murs …
Malgré toutes ces manœuvres, au sein de la Collectivité Massémé, on n’entend pour rien au monde fléchir. « On est prêt à verser notre sang pour défendre nos terres », assure l’ex-ministre Alphonse Kokouvi Massémé, qui envisage saisir, en tant qu’ancien ministre, le chef de l’Etat Faure Gnassingbé sur ce dossier.