Le 30 mai dernier, les producteurs s’étaient rendus au siège du Conseil interprofessionnel de la filière soja (CIFS) à Agbalepedo, pour crier leur ras-le-bol (https://letabloid.tg/soja-mouvement-dhumeur-au-siege-du-cifs-les-producteurs-crient-leur-ras-le-bol-et-menacent-darreter-la-production/). Parmi les nombreuses difficultés soulevées par les manifestants, l’existence de grandes quantités de production encore dans les stocks chez eux à l’étape actuelle de la campagne de commercialisation. Trois semaines après ce mouvement d’humeur, la situation n’a guère évolué. Bien plus, il s’installe un désordre qui menace la survie même de cette filière porteuse qui élève depuis quelque temps le Togo au firmament dans le domaine agricole.
Charges virulentes contre la PIA…
Quatre-vingt-mille (80 000) tonnes, c’est la quantité de soja encore disponible dans les stocks avancée par les producteurs au cours de leur manifestation susmentionnée, soit pratiquement le tiers de l’objectif fixé par le gouvernement pour la campagne de commercialisation de cette année, trois cent mille (300 000) tonnes. Ce qui représente un manque à gagner, entre autres difficultés, pour les producteurs qui n’ont pas décoléré à l’occasion. Et le responsable de cette situation a été tout identifié : la Plateforme industrielle d’Adetikopé (PIA).
« (…) La PIA est arrivée et l’espoir est revenue, parce que nous croyions que nous allions vendre. Mais avec cette campagne 2022-2023, on s’est rendu compte que le rêve n’est pas devenu réalité ». Représentant des producteurs de la région des Plateaux et porte-voix de circonstance des participants au mouvement d’humeur, Novissi Tewou n’avait pas hésité à charger la PIA. «Nous ne travaillons pas pour la PIA, mais nous sommes des partenaires. Et en tant que partenaires, nous nous devons respect mutuel. Mais aujourd’hui, on a l’impression que la PIA nous utilise comme ses cultivateurs », avait pesté un producteur, et d’appeler l’Etat à suivre de près les activités de la société. La PIA était donc dans toutes les bouches.
…Accusée de sortir de sa sphère de compétence
L’interprofession est constituée, faut-il le rappeler, de trois principales familles professionnelles : les producteurs regroupés dans la Fédération nationale des coopératives de producteurs de soja (FNCPS), les commerçants et exportateurs représentés par l’Association nationale des commerçants et exportateurs de soja (ANCES) et les transformateurs rassemblés dans l’Association togolaise des transformateurs de soja (ATTS). Selon les informations données par le Président du CIFS en personne, Komlan Kadzakadè, ils seraient respectivement environ 30 000 producteurs repartis sur toute l’étendue du territoire, 170 commerçants et exportateurs et une centaine d’entreprises de transformation.
Chaque famille professionnelle a un rôle spécifique dont le respect est à l’origine des belles performances du Togo depuis quelques années. Mais tout porte à croire que la PIA est en train de sortir de son champ, à en croire la récurrence des complaintes des producteurs et autres acteurs de la filière. Au-delà du problème factuel de non-achat de toutes les productions, il est fait grief à la Plateforme industrielle d’Adetikope d’être à l’origine d’une pagaille généralisée sur le terrain et de toutes ces tribulations des producteurs, de refuser d’acheter les graines de soja et les productions, et même de s’approvisionner du produit en provenance d’autres cieux, de monter les acteurs les uns contre les autres…
La société lancée le 6 juin 2021 au Togo est accusée de sortir de sa sphère de compétence et d’empiéter sur celles des autres entités, de ne plus vouloir traiter avec les agrégateurs et même de chercher à utiliser leurs bases pour opérer. Toute chose qui viole les ententes définies et risque de mettre en péril la bonne dynamique et la sérénité caractérisant la filière et qui sont sans doute à l’origine des belles performances du Togo depuis plusieurs années. Il lui est fait le procès d’abandonner le coton et de foutre le bordel dans la filière soja.
Des doutes sur la transformation du soja
La transformation in situ des produits agricoles est l’une des raisons d’être de la PIA. Concernant le soja, elle devrait le transformer en divers produits dont l’huile de soja comestible, les gâteaux déshuilés, la lécithine, les morceaux de soja, le soja grillé et de la farine de soja.
A cette fin, des travaux de construction des unités de transformation ont été engagés et se sont achevés en septembre 2022. Deux usines ont été implantées et cela a mobilisé un investissement de plus de 165 milliards FCFA. L’annonce de la fin des travaux et de leur opérationnalité a été faite en toute joie via un tweet par la PIA et le MIFA (Mécanisme incitatif de financement agricole). Mais bientôt un an après la clôture des travaux, les producteurs se plaignent de ne rien voir de concret en terme de transformation.
« On nous avait dit ici qu’avec ces usines, la PIA va transformer environ 240.000 tonnes de soja 100% local par an. Si c’est le cas, comment se fait-il qu’il y ait encore 80 000 tonnes de soja en stock chez les producteurs et qui ne trouvent pas preneurs ? », se demande l’un d’eux.
Nécessité pour l’Etat de rétablir l’ordre
La bonne santé de la filière est la résultante d’une volonté politique affirmée et d’une véritable organisation du secteur par ses soins. Des performances qui font parler du Togo en bien à travers le monde. A côte des productions qui augmentent d’année en année, le Togo s’est distingué avec la qualité de son soja, identifié comme le premier exportateur mondial du bio vers l’espace Schengen. Cette volonté politique, visiblement, est toujours d’actualité. La preuve, c’est sans doute l’adoption, vendredi dernier, du plan stratégique 2023-2028 de la filière soja.
En effet, il a été validé un plan stratégique à trois axes mettant en exergue les grandes ambitions du gouvernement togolais pour la filière. «Le plan en fait veut valoriser l’exportation du bio à l’international qui donne de la valeur ajoutée aux acteurs et au Togo et essayer d’accentuer la transformation locale des produits du soja (…) Notre vision, c’est de développer la transformation locale tout en préservant la première place d’exportateur de soja bio à l’international. Donc par rapport à cette ambition, d’ici 2028, il faut que nous atteignions les 500 000 tonnes afin que nous puissions garantir le stock maximum pour la transformation locale», a justifié Komlan Kadzakadè, Président du CIFS.
Les producteurs et commerçants sont déjà durement éprouvés par le retard de la campagne de commercialisation de cette année due à la délivrance tardive des agréments, au blocage des contrats…Mais à cela, s’ajoute un désordre qui commence par s’installer dans la filière et risque de l’imploser si l’Etat ne prend pas ses responsabilités pour rétablir l’ordre. Il est donc interpellé et les regards des acteurs de la filière, notamment les producteurs et commerçants exportateurs sont tous tournés vers lui pour sauver les meubles. Avant qu’il ne soit trop tard…