Ambiance inhabituelle ce matin au siège du Conseil interprofessionnel de la filière soja (CIFS) sis à Agbalepedo. N’en pouvant plus, les producteurs sont venus exprimer les nombreux problèmes rencontrés au cours de la campagne de commercialisation 2022-2023 en cours et crier leurs ras-le-bol aux responsables de leur interprofession. Par-dessus tout, ils menacent d’arrêter la production du soja pour la campagne agricole à venir. Mais les responsables du CIFS ont pris à-bras-le-corps ces préoccupations et promis engager des actions en vue de trouver des solutions.
Les soucis des producteurs
Refus manifeste d’achat des productions et des semences, humeurs de la Plateforme industrielle d’Adetikope (PIA), grandes quantités de soja encore dans les stocks, indisponibilité d’argent, poursuite des banques et structures de microfinances…Les problèmes des producteurs et commerçants-exportateurs de soja sont nombreux. Venus de toutes les régions économiques du Togo, les acteurs se sont donné rendez-vous ce matin à Lomé devant le siège du CIFS à Agbalepedo pour exprimer leur désarroi.
« Nous avons beaucoup de difficultés et nous sommes venus voir le CIFS pour voir dans quelle mesure on va trouver des solutions. Pour la campagne (de commercialisation, Ndlr) de cette année, à ce jour, nous n’avons pas liquidé nos productions, elles sont encore entre les mains des producteurs. On ne comprend pas », lance Ibrahim Lare, Secrétaire Général de la Fédération nationale des coopératives productrices du soja (FNCPS).
Porte-voix de circonstance des participants à ce mouvement d’humeur, Novissi Tewou, représentant des producteurs de la région des Plateaux PIA n’en démord pas : « (…) La PIA est arrivée et l’espoir est revenue, parce que nous croyions que nous allions vendre. Mais avec cette campagne 2022-2023, on s’est rendu compte que le rêve n’est pas devenu réalité. Les paysans que nous sommes, nous avons aujourd’hui des quantités importantes de soja en stocks, près de 80 000 tonnes encore dans des magasins et dans des foyers des paysans alors que ces derniers doivent de l’argent aux microfinances (…) Nous ne dormons pas, nous avons des soucis et on est inquiet parce que nous voulons sauvegarder cette filière».
Parmi les manifestants, il y avait aussi des dames, productrices de soja qui ont aussi tenu à faire le déplacement et exprimer leurs préoccupations particulières, au-delà de ces problèmes communs. « La campagne nous a découragées, surtout nous les femmes. Avec la production de soja, on arrivait à s’en sortir et à s’occuper de nos enfants, surtout leur scolarisation. Voilà que la campagne a été très mauvaise, nos produits n’ont pas été pris comme on le veut. Là où nous sommes, nous sommes découragées, on n’a même plus l’argent pour louer les terres, puisque la terre n’appartient pas à la femme ; on la loue à 25 000 F, on produit et on ne vend pas, nos stocks sont emmagasinés dans nos chambres. On a fait même la torrification pour préparer la pâte, faire du wagashi, on a mangé fatigué (sic). Nous voulons le marché pour écouler le soja et reprendre la campagne agricole », s’est lamentée Mme Daloli Mimbouab, productrice à Nyamassila.
Autre problème, les humeurs de la Plateforme industrielle d’Adetikopé (PIA) identifiée comme à l’origine de la pagaille sur le terrain et de toutes ces tribulations des producteurs togolais. Il est fait grief à la société de refuser de prendre les graines de soja et les productions des paysans togolais, mais de s’approvisionner en provenance d’autres cieux, de monter les acteurs les uns contre les autres…« Nous ne travaillons pas pour la PIA, mais nous sommes des partenaires. Et en tant que partenaires, nous nous devons respect mutuel. Mais aujourd’hui on a l’impression que la PIA nous utilise comme ses cultivateurs », peste un producteur, et d’appeler l’Etat à suivre de près ses activités. Dans le secteur, on doute même que la PIA fasse la transformation in situ du soja togolais, comme c’était promis au début.
Menace d’arrêt des productions
80 000 tonnes, c’est la quantité de soja encore disponible chez les producteurs, soit près du tiers de l’objectif de 300 000 tonnes fixé par le gouvernement pour la campagne d’achat 2022-2023, contre 250 000 tonnes pour la précédente. Que vont alors faire les producteurs de ces stocks pas encore achetés ? Voilà la question qui triture les méninges des producteurs. Ajouté à cela toutes les difficultés connexes, ils sont tentés d’arrêter la production de soja pour la campagne agricole en vue.
« Si on n’arrive pas à vendre, est-ce qu’on va pouvoir encore produire le soja ? (…) Si le CIFS ne prend pas des mesures pour trouver des solutions, cette année, on ne va pas produire (le soja). Nous avons aussi beaucoup de quantités de semences qu’on n’a pas liquidées parce que la PIA ne les a pas prises. Nous notre patron, c’est le CIFS, voyez comment vous allez faire pour trouver des solutions, sinon cette campagne, on ne produit plus », a requis des responsables du CIFS Ibrahim Laré.
Le SG de la FNCPS n’est pas seul à explorer cette piste. « Dans les régions, on attend. Notre descente aujourd’hui, c’est de voir s’il faut produire le soja ou ne pas produire. Il y a d’autres choses que nous allons faire (…) Les producteurs n’ont pas d’argent, les banques sont en train de les talonner (…) la graine est là, trouvez-nous une solution. La question même des producteurs, c’est de savoir si cette année, il faut produire ou ne pas produire. Nous voulons la réponse aujourd’hui avant de rentrer », a demandé un producteur.
Compréhension et promesse des responsables du CIFS
Au CIFS, on comprend bien les préoccupations des producteurs et la légitimité de leur mouvement d’humeur. Président de l’interprofession, Komlan Kadzakade est remonté aux causes de cette situation : « Le lancement de la campagne n’a pas été rapide (elle a été lancée le 15 novembre 2022 contre généralement début octobre). Les acheteurs qui venaient à partir de novembre-décembre, comme la campagne n’était pas lancée, ils se sont tournés vers d’autres pays, d’autres horizons où ils peuvent trouver le soja ».
Autre source identifiée, les difficultés d’obtention des agréments. « C’est à partir de janvier (2023, Ndlr) que les premiers agréments ont commencé à sortir. Or les commerçants-exportateurs, ceux qui achètent notre soja, signent déjà les contrats avec leurs partenaires à partir de novembre. Voilà que c’est en janvier qu’ils ont eu les agréments, ça veut dire qu’ils n’ont pas pu signer les contrats, les anciens sont résiliés », a indiqué M. Kadzakade.
Le patron du CIFS trouve que l’indisponibilité de fonds aussi en est pour beaucoup dans la situation actuelle des producteurs : « Aucune activité ne peut être faite sans l’argent (…) Ces commerçants, s’ils viennent soulager nos peines souvent, c’est parce qu’ils contractent des crédits au niveau des banques et ça leur facilite la tâche. Mais compte tenu de cette situation que la filière a vécue (retard du lancement de la campagne et de signature des agréments), logiquement les banques n’ont pas libéré leurs lignes de crédit pour qu’ils puissent obtenir de l’argent et venir vers les producteurs et pouvoir faire la levée des stocks».
Après avoir écouté religieusement les manifestants, les responsables du CIFS ont promis aller aux informations et mener les démarches nécessaires pour trouver des solutions à ces problèmes soulevés. Et déjà au sujet de la menace d’arrêt de la production, ils en déconseillent leurs interlocuteurs. « Chers producteurs, vous et nous, notre activité, c’est l’agriculture. Et donc tout ce qu’on peut demander aujourd’hui, c’est de retourner produire. On va produire pour soit le transformateur, soit l’exportateur jusqu’à ce que l’autorité puisse nous rassurer que les problèmes de la campagne dernière ne vont plus se reproduire (…) Nous vous conseillons de retourner aux activités, mais nous allons vous revenir dans un bref délai sur la question que nous allons discuter avec l’autorité et nous pensons qu’on trouvera le juste milieu », en a appelé le Secrétaire Général du CIFS.
Dans le rang des producteurs, on garde espoir que leur cri de détresse sera vraiment entendu et des solutions trouvées…