Face à la banalisation des actes de torture, des traitements cruels, inhumains ou dégradants au Togo et aux condamnations récurrentes de l’Etat par la Cour de justice de la CEDEAO, trois (03) organisations de défense des droits de l’Homme redoutent l’érection tacite de ces fléaux en mode de gouvernance et interpellent les autorités compétentes. Il s’agit de la Ligue togolaise des droits de l’Homme (LTDH), de l’Association des victimes de la torture au Togo (ASVITTO) et du Mouvement Conscience Mandela (MCM). Elles sont montées au créneau cette matinée, au cours d’une conférence de presse, au siège de la LTDH.
« Nous avons voulu organiser cette conférence de presse pour alerter sur un drame, une situation qui nous préoccupe tous : le phénomène de la torture dans notre pays. C’est devenu un champ d’impunité où des citoyens sont torturés et personne ne dit rien. Et finalement, c’est la Cour de justice de la CEDEAO qui, en l’espace d’un mois, de juin à juillet 2023, a condamné trois fois le Togo pour dédommager, à des coups de millions, des citoyens victimes de la torture, ordonner leur libération, mener des enquêtes sur des cas de torture en vue de poursuivre les mis en cause », a déploré Me Célestin Agbogan, Président de la LTDH.
«Nous avions effectué des actions en amont et sur ces cas, nous avons alerté les autorités compétentes. Malheureusement, elles ne nous ont pas écoutées. Il a fallu que finalement, on nous condamne (…) Nous sommes mécontents par rapport à tout cela et nous voudrions que, cette fois-ci, les autorités compétentes, politiques et judiciaires prennent la mesure de la chose pour que le droit soit dit ou que la justice soit faite pour que ces décisions puissent être exécutées (…) Il va falloir que l’Etat prenne la mesure de la chose pour que d’éventuels tortionnaires soient découragés par l’application au moins des décisions ; que la CNDH qui est dotée du mécanisme de prévention de la torture également prenne ses responsabilités pour que la torture soit vraiment éradiquée dans nos centres de détention… », a ajouté Me Agbogan.
Les actes de torture sus-énoncés suivis de condamnations se sont produits dans trois (03) affaires différentes. Les précisions sont données par la déclaration liminaire des trois organisations, lue au cours de la conférence de presse par Carlos Nambea du Mouvement Conscience Mandela (MCM). Primo, « le 07 juin 2023, dans l’affaire N°ECW/CCJ/APP/45/22, opposant les nommés Akohsi Sakibou et 9 autres à la République du Togo, la Cour de la Cedeao a, par arrêt N°ECW/CCJ/JUD/12/23, constaté que le défendeur [République du Togo] a violé le droit des requérants [Akohsi Sakibou et 9 autres] de ne pas être soumis à la torture et à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conformément aux articles 5 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), 7 du PIDCP et 5 de la DUDH, ordonné la mise en liberté immédiate et sans condition de tous les requérants ; ordonné à la République du Togo de faire diligenter sans délai par les autorités compétentes, une enquête relative aux faits de torture allégués par les requérants.
Secundo, « le 19 juin 2023, dans l’affaire N°ECW/CCJ/APP/26/20, opposant le nommé Kokou Nouwozan Langueh à la République du Togo, la Cour de Justice de la Cedeao a, par arrêt N°ECW/CCJ/JUD/18/23, constaté que le défendeur [République du Togo] a violé le droit du requérant [Kokou Nouwozan Langueh] de ne pas être soumis à la torture, notamment l’article 12 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants ».
Tertio, « le 05 juillet 2023, dans l’affaire N°ECW/CCJ/APP/42/22, opposant le nommé Agbogbo Kossi Edem à la République du Togo, la Cour de Justice de la Cedeao a, par arrêt N°ECW/CCJ/JUD/28/23, constaté que le défendeur [République du Togo] a violé le droit du requérant [Agbogbo Kossi Edem] de ne pas être soumis à la torture et à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conformément aux articles 5 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP), 7 du PIDCP et 5 de la DUDH, ordonné à l’État de la République togolaise de mener immédiatement une enquête sur la plainte déposée par le requérant afin de déterminer toute responsabilité en vertu des articles 1er de la Charte africaine, 12 et 14 de la Convention contre la torture ».
Rappelant bien d’autres dossiers de torture, le trio LTDH-ASVITTO-MCM fait observer que « ces différentes condamnations du Togo pour actes de torture par la Haute juridiction communautaire constituent la preuve palpable et irréfutable que la pratique de la torture est encore systématique sur les prisonniers « spéciaux », notamment les prisonniers politiques et érigée en mode de gouvernance au Togo ; une pratique avilissante et destructrice de l’être humain ; une méthode abjecte à des fins de conservation du pouvoir politique ». Certaines que l’État togolais a déjà reçu notification officielle de ces décisions de la Cour de justice de la Cedeao, ces organisations « l’appellent à leur mise en exécution dans leur intégralité, afin de diminuer un tant soit peu la souffrance des victimes, et notamment en mettant en liberté ceux qui sont encore en détention, et en leur payant les condamnations pécuniaires allouées en guise de réparations ».
Au regard de la situation, les trois OSC interpellent nominativement la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH) qu’elles accusent de « défense sélective et discriminatoire » des droits de l’Homme au Togo, le ministre des Droits de l’Homme, porte-parole du gouvernement, Christian Eninam Trimua, le Garde des Sceaux, ministre de la Justice et de la Législation, Pius Kokouvi Agbetomey, à prendre leurs responsabilités.
En outre, en prélude à la Journée internationale de la femme africaine, elles exhortent vivement les premières responsables des associations des droits de la femme, notamment le West Africa network for peace building, branche togolaise (WANEP-Togo), le Groupe de réflexion et d’action femme démocratie et développement (GF2D), le Réseau national des femmes africaines ministres et parlementaires, branche togolaise (REFAMP[1]Togo), le Women in Law and development in Africa, branche togolaise (WiLDAF-Togo), « sur le cas de dame Nambea Leyla Méhiouwa, arrêtée, torturée et jetée en prison depuis le 18 décembre 2019, alors qu’elle allaitait un bébé de 9 mois »…