Par le décret n°2023-104 du 20 octobre 2023 portant réglementation de l’exploitation des véhicules affectés aux transports urbains, taxis-ville, taxis-motos et tricycles, le gouvernement en fait aujourd’hui un opérateur économique à part entière. Une reconnaissance officielle et formelle donc du métier (sic). Mais la naissance du zémidjan au Togo n’a pas été un long fleuve tranquille. La genèse et l’histoire mouvementée sont racontées par François Komlavi Agbo, tout récent ex-Secrétaire Général de l’Union syndicale des conducteurs de taxi-moto du Togo (USYNCTAT).
3 apparitions marquent la genèse
La naissance du zémidjan au Togo se résume à trois apparitions, à en croire cet acteur des premières heures de ce métier. Et la toute première aurait eu lieu les 28 et 29 novembre 1990. « Pendant ces deux jours, les conducteurs de taxi-auto et minibus avaient décidé de déclencher une grève collective pour protester contre le permis de conduire obligatoire que leur imposait l’autorité. Nous étions sortis pour dépanner la population. Moi j’étais sorti avec une Vespa, mais les gens n’avaient pas apprécié parce que ce n’était pas commode. Après les deux jours de grève, tout était rentré dans l’ordre », confie François Komlavi Agbo, dans un récit de l’histoire du zémidjan, lors du congrès extraordinaire de l’USYNCTAT le 29 janvier dernier au siège de la Confédération syndicale des travailleurs du Togo (CSTT) ayant vu élire un nouveau SG en la personne de Komi Binessi.
La seconde apparition serait intervenue du 1er au 15 juin 1991 lorsque la population réclamait l’organisation de la Conférence nationale. « Pendant 15 jours, il n’y avait pas de véhicule de transport dans la ville de Lomé ; les seuls véhicules qui pouvaient aider la population, c’étaient les motos. Certains s’étaient même servis de brouettes pour transporter des gens», nous apprend ce zémidjan des premières heures, se rappelant la belle vie (sic) que menaient à l’époque les condutcteurs de taxi-moto. « L’essence était à 235 F le litre et vous pouviez réaliser 3 à 4 000 F de recette. Nous mangions bien. Certains nous avaient même surnommés la langue de chèvre parce qu’il y avait une dame derrière Elekta qui vendait la sauce de chèvre avec de la boule d’akassan et de la farine, et quand nous débarquions, on disait : ‘’Eh, ma tête est là ?’’. Elle répondait : ‘’Oui, ta langue est là’’. C’était le bon vieux temps. Il y avait aussi une bière, Ngoma, que nous buvions, on avait de l’argent», dit-il, nostalgique.
La 3e apparition remonterait au 12 novembre 1992, avec le déclenchement de la grève générale illimitée. C’est depuis lors que les taxis-motos se sont imposés et ont conquis presque tous les villes et campagnes du Togo. Mais faire du zémidjan à l’époque, c’était à ses risques et périls. « Cette troisième expérience a été très dure, parce que pour rien du tout, on pouvait vous cataloguer et vous éliminer. Vous n’avez pas le droit d’amener la moto à Bè car on vous prend pour un saboteur de la grève, coupe le pneu avec une machette et vous devez porter l’engin pour rentrer. Si vous avez la malchance d’aller dans le quartier Doumassesse encore appelé Adéwui, on vous prend comme opposant et vous tape avec du gourdin clouté », se rappelle M. Agbo.
Malgré ces risques, les acteurs n’avaient pas le choix. Ce métier était devenu une soupape ou bouée de sauvetage pour les chômeurs dans le temps, déflatés de l’administration, diplômés sans emploi, étudiants et artisans, leur permettait de vivre et nourrir leurs familles face à l’arrêt total des unités de production. C’est ainsi qu’initialement circonscrit en ville, le zémidjan a conquis aussi les villages, est devenu un véritable phénomène de société et s’est imposé de nos jours comme le moyen de transport le plus pratique et économique pour une bonne frange de la population. A la gamme des motos, japonaises pour la plupart jusqu’à une récente époque, notamment les Mate 50 petite ou grande tête, viendront s’ajouter et même supplanter les modèles chinois, puis émergèrent les tricycles dans les années 2002. De quatre (4) à peine au départ, le nombre (de tricycles) dépasserait, d’après les chiffres évoqués par l’ex-SG de l’USYNCTAT, 15 000 de nos jours sur l’ensemble du territoire.
Encadrement syndical, représailles policières…
« Si aujourd’hui malgré les médisances et les critiques acerbes portées contre les conducteurs de taxi-moto, le nombre ne cesse d’augmenter, cela est dû d’abord à l’encadrement syndical. S’il n’y avait pas cette organisation, le zémidjan n’existerait pas. C’est cet encadrement qui a favorisé sa rentabilité», dit fièrement François Agbo, acteur majeur de cette organisation, Porte-parole de l’YSUNCTAT créée en 1994 et Secrétaire Général deux ans plus tard suite à un congrès extraordinaire jusqu’au 29 janvier dernier, 28 ans durant donc.
A l’en croire, l’encadrement syndical avait déjà commencé en 1993, avec la mise en place d’une association dénommée RETAMOT, entendu Regroupement des taxis-motos du Togo, réorganisée en syndicat (USYNCTAT, Ndlr) le 29 janvier 1994 au terme du congrès constitutif à la FOPADESC devant 1394 conducteurs…Mais les leaders syndicaux et autres acteurs du métier devraient composer avec les représailles policières. Il nous revient que le tout premier SG de l’USYNCTAT, Eric Lawson Boèvi, a disparu des écrans déjà en février-début mars (1994), faisant suite aux intimidations et pressions de toutes sortes, harcelés par la Police, la Gendarmerie…C’était une véritable chasse aux zémidjans, sur des motifs artificiels et parfois fallacieux.
« Moi j’étais pris au niveau de l’ancien siège de la CSTT à Kodjoviakopé, la Police était descendue, soi-disant qu’il y avait des terroristes dans la maison et on m’a arrêté comme ça (…) Il m’a été rapporté plus tard par une personne haut placée que c’étaient en fait les chauffeurs qui avaient manigancé ce coup parce que nous constituions une concurrence déloyale alors que c’étaient eux-mêmes qui avaient fait une grève », confie M. Agbo. Les premiers responsables syndicaux étaient contraints de fuir le Togo et certains s’étaient réfugiés au Bénin, d’autres au Ghana …C’est seulement en 1996 que l’Etat a enfin reconnu officiellement l’existence de l’activité de zémidjan, son bien-fondé, en élaborant un arrêté interministériel la réglementant. Mais ce n’était pas pour autant la fin des brimades pour les conducteurs de taxis-motos. Ils gardent de très mauvais souvenirs de trois commissaires de Police qui s’étaient illustrés dans la rafle des motos, Baba, Assih et Tchédré.
« C’est eux qui nous ont mené la vie dure. Mais après, c’est encore eux qui nous ont aidés à asseoir notre corporation parce qu’ils ont finalement compris qu’il y avait moins de voleurs au Grand marché », souligne François Komlavi Agbo, tout en nuançant ne pas insinuer que les zémidjans sont des voleurs. Même le gouvernement serait divisé à l’époque sur la position commune à adopter face au phénomène zémidjan, entre des ministres qui voudraient que le métier soit réglementé, d’autres qui n’en voulaient pas du tout et les neutres.
L’émission du tournant et convocation à Lomé 2
François Komlavi Agbo se rappelle, comme si c’était encore hier, une émission débat télévisée le 24 août 1994 sur la TVT alors animée par Adri Baba Gnassingbé et qui avait pour invités les ministres Amedome et des Transports Dédévi Ekoué et lui-même…C’était comme un signe du destin, un catalyseur de l’organisation du secteur.
A l’en croire, le ministre Amedome avait déversé sa bile sur les zémidjans, les traitant de voleurs et de tous les noms d’oiseau. « Le téléphone qui était sur le plateau a sonné, on l’a passé au ministre qui a commencé à sautiller et à enchainer des ‘’Oui oui, Excellence’’. Incroyable, c’était le Président Eyadéma au téléphone. Je l’avais menacé que s’il ne présentait pas des excuses aux zémidjans, j’allais quitter le plateau (…) Il a été obligé de présenter des excuses aux conducteurs de taxi-moto et à la jeunesse en général qui s’était sentie offensée », souligne l’ex-Secrétaire Général de l’USYNCTAT. C’était juste une bataille de gagnée. La suite ne sera pas aisée. « Devenir conducteurs de taxi-moto, c’est difficile pour nous, parce qu’on a des compétences. Mais pour être ministre, on n’a pas besoin de diplôme, n’importe quel lézard peut être ministre », enchaina M. Agbo, comme dopé par ce retournement de situation.
« Le lendemain, on m’appelle pour me présenter à Lomé 2. J’y vais, les ministres étaient là et Eyadema me dit : ‘’Montre-moi les lézards du gouvernement’’. On était dans une salle super climatisée, mais je transpirais comme sous la pluie. J’eus tout d’un coup une inspiration divine et je dis : ‘’Excellence, je n’ai pas dit que c’est dans le gouvernement d’Eyadema qu’il y a des lézards’’. Il ordonna alors de lui faire écouter la bande. Après l’avoir écoutée, Eyadema dit : ‘’Mais, il n’a pas dit que c’est dans le gouvernement d’Eyadema’’. Les ministres ont commencé à se regarder. Et il enchaine en disant que Ronald Reagan n’a pas été à l’école, c’était un cowboy, mais il a été Président aux Etats-Unis d’Amérique ; de même que Margaret Thatcher, épicière, mais devenue Première ministre du Royaume-Uni, ou encore Lech Walessa, cheminot, mais devenu Président de la Pologne. Il a cité plein d’exemples et a dit : ‘’Est-ce que moi je vous nomme parce que vous êtes diplômés ? Alors buvons !’’ C’est seulement en ce moment que ma transpiration a commencé par disparaitre », confie notre interlocuteur.
« On a bu, on a mangé et Eyadema dit au Général Séyi Mèmène de m’amener voir Edem Kodjo afin que je devienne le responsable des zémidjans et les organise. C’est comme ça que je suis devenu par la force des choses Porte-parole de l’USYNCTAT et 2 ans plus tard Secrétaire Général après un congrès extraordinaire», ajoute M. Agbo.